Publié le Lundi 13 juin 2011 à 20h26.

Jeunes féministes de Tunisie : « Donner une énergie aux femmes »

À Sfax, deuxième ville de Tunisie, des jeunes femmes adhérentes du Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT) veulent construire une association féministe. Rencontre. Elles s’appellent Nedia, Azza, Wiem. Mais avec elles, il y a tout un groupe de jeunes qui s’active. La plus jeune est lycéenne, elle a 17 ans. C’est elle qui parle la première, mais par la suite, les réponses alternent et fusent. Qu’est-ce qui vous a poussé à adhérer au PCOT ? Une tradition militante familiale ?• J’ai adhéré au PCOT avant la révolution. J’étais attirée par l’objectif communiste. J’avais lu Lénine et Karl Marx. J’ai rencontré une camarade du PCOT qui m’a proposé d’adhérer. Avant la révolution, nous militions en cachette. Je suis d’une famille bourgeoise. Mon père est contre le militantisme et surtout le communisme. Je trouve qu’un parti proche du peuple est une bonne chose. • Moi, je suis au chômage maintenant. J’étais à la faculté. J’ai fait trois ans d’anglais. J’ai adhéré au PCOT il y a un an. Le PCOT est actif dans l’Union générale des étudiants tunisiens (Uget). • Moi non plus ma famille n’est pas de gauche, plutôt « bourgeoise ». Quelles différences, selon vous, entre le PCOT et la Ligue de la gauche ouvrière (LGO) avec laquelle le NPA a des liens militants?• Nous avons lu des brochures de la Ligue de la gauche ouvrière. • Vu de l’extérieur, on ne voit pas de différence. Les partis membres du Front du 14 janvier vont-ils agir ensemble pour les élections (prévues initialement le 24 juillet, mais qui pourraient être reportées) ? • Pour le moment, tout le monde veut défendre ses idées. Car avant la révolution, nous étions dans la clandestinité. Mais nous voulons repousser les élections, car nous n’avons pas assez de temps pour les préparer. Nous sommes pour travailler ensemble avec les autres partis de gauche. Est-il difficile pour des jeunes femmes d’agir politiquement en Tunisie ?• Avant, c’était très difficile pour tout le monde, mais surtout pour les femmes. À cause des traditions, de la religion, de la famille. Pourtant, la question religieuse a été absente de la révolution. • En tout cas au début. Mais maintenant, les choses changent à cause d’Ennhadha, le mouvement islamiste, qui nous accuse d’être antireligieux et de vouloir convertir le peuple à l’athéisme. • Nous sommes pour la laïcité. Mais nous n’avons pas de problème avec la religion. Chacun doit avoir la liberté de croyance. Au PCOT, il y a des filles voilées. On peut représenter le PCOT avec le foulard, il ne doit pas y avoir de problème. On ne peut pas sélectionner les gens sur la religion. Le parti doit être populaire. Il y a la religion et la signification du voile pour les femmes... • Ces femmes ont choisi le voile seules. On ne peut les obliger à le retirer. Je suis contre le voile pour moi. Mais chacun est libre. • J’ai des camarades voilées. Je dois les respecter. Les filles portant le voile défendent aussi l’égalité entre hommes et femmes. Certaines disent même qu’elles sont voilées et fières d’être au PCOT. • C’est un voile qui cache seulement les cheveux, pas un niqab. Là tout le monde est contre ! [éclats de rire] Vous considérez-vous comme féministes ?• Bien sûr. Très féministes ! • Nous luttons avec les hommes contre l’inégalité, mais il y a des exigences particulières pour les femmes. Elles doivent s’unir. Certains droits ne sont pas reconnus. Les lois sont insuffisantes ou non appliquées. Par exemple, le droit à l’héritage. Une femme vaut la moitié d’un homme ! Les congés maternité sont très insuffisants. • Les salaires non plus ne sont pas égaux pour les mêmes emplois. L’accès aux métiers est très différent entre hommes et femmes. • Et il y a le harcèlement physique, sexuel. Nous réclamons aussi le droit à l’avortement. En Tunisie, souvent les femmes restent cachées, sans existence. Elles ne peuvent s’imposer facilement dans la vie politique, faire des meeting, sortir le soir, voyager, etc. Par contre, dans l’agriculture, à la campagne, les femmes sont davantage à l’égal des hommes dans le travail. Et le mari souvent travaille en ville. Existe-t-il des mouvements féministes en Tunisie ?• Il y a l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD). Mais nous n’en faisons pas partie. Les femmes démocrates se sont battues pour l’égalité dans l’héritage, contre le fait que la femme vaut la moitié d’un homme. • Notre idée, à Sfax, est de créer une association féministe. L’ATFD s’adresse surtout à une catégorie plus intellectuelle, même si elle a toujours été attaquée ou frappée par les islamistes et la police. Nous voulons agir auprès des femmes du peuple, dans les tâches quotidiennes, par exemple par rapport au cancer du sein. Nous voulons réunir les femmes de toutes les catégories, celles qui travaillent ou celles qui ne travaillent pas. • Pour s’approcher des femmes, il faut des étapes. Nous voulons nous intéresser à la vie quotidienne, même pour la préparation des repas, les recettes de cuisine, etc. Envisagez-vous de créer un mouvement féministe lié au PCOT ou un mouvement large ? • Large. Nous voulons qu’il y ait tout le monde, toute la gauche, même les femmes apolitiques. Notre objectif est de donner une énergie aux femmes du peuple tunisien. • Il faut faire un mouvement libre. • Nous ne voulons pas lancer ce projet uniquement par le PCOT. Pas du tout. Mais avec tout le monde, la LGO, les Patriotes démocrates, etc. Il faut viser l’efficacité. Propos recueillis par Dominique Mezzi