« L’antisionisme est une des formes modernes de l’antisémitisme » : c’est ce qu’a déclaré Emmanuel Macron lors du récent dîner du CRIF, reconduisant un amalgame qu’il avait déjà effectué en juillet 2017 lors des commémorations de la rafle du Vél d’hiv. Un amalgame stupide et dangereux, qui pourrait conduire, même si Macron se défend de vouloir le faire, à une pénalisation de l’antisionisme.
Les récentes déclarations de Macron concernant l’antisionisme s’inscrivent dans une plus vaste campagne d’instrumentalisation d’actes antisémites, dirigée en premier lieu contre le mouvement des Gilets jaunes, mais aussi contre les militantEs de la solidarité avec la Palestine et, plus globalement, contre la gauche radicale.
Il aura ainsi suffi qu’un sinistre individu traite Alain Finkielkraut de « sale sioniste de merde » au cours d’une diatribe incontestablement antisémite pour que la désagréable musique amalgamant antisionisme et antisémitisme se fasse de nouveau entendre, du côté des soutiens inconditionnels d’Israël, mais aussi de celui de la majorité LREM et de quelques autres responsables politiques qui ne brillent guère par leur CV d’antiracistes.
Nous avons déjà évoqué dans nos colonnes, la semaine dernière1, le cynisme et la dangerosité de l’instrumentalisation d’actes antisémites bien réels pour jeter l’opprobre sur un mouvement social dans son ensemble. La volonté de faire un lien direct entre antisionisme et antisémitisme procède de la même malhonnêteté intellectuelle, et recèle les mêmes dangers : désigner de faux coupables et affaiblir la lutte authentique contre l’antisémitisme.
« Israël est une véritable ethnocratie »
La critique du sionisme est la critique d’une idéologie et d’une politique fondées sur une vision ethno-raciale des rapports sociaux qui a conduit l’État d’Israël à institutionnaliser les discriminations et l’oppression subies par les PalestinienEs au moyen de lois accordant des droits spécifiques (et supérieurs) aux Juifs. Ainsi, critiquer le sionisme et les structures discriminatoires de l’État d’Israël, ce n’est pas faire preuve de racisme mais, bien au contraire, refuser la légitimation de mécanismes institutionnels de hiérarchisation raciale.
Comme l’a récemment écrit l’historien Schlomo Sand, « tout un chacun qui se définit comme sioniste s’obstine à voir en Israël, au moins dans ses frontières de 1967, l’État des juifs du monde entier, et non pas une République pour tous les israéliens, dont un quart ne sont pas considérés comme juifs, parmi lesquels 21 % sont arabes. Si une démocratie est fondamentalement un État aspirant au bien-être de tous ses citoyens, de tous ses contribuables, de tous les enfants qui y naissent, Israël, par-delà le pluralisme politique existant, est, en réalité, une véritable ethnocratie, à l’instar de ce qu’étaient la Pologne, la Hongrie, et d’autres États d’Europe de l’Est, avant la Seconde Guerre mondiale. »
L’antisionisme n’a rien à voir avec la haine des Juifs
L’antisionisme n’a donc rien à voir avec la haine des Juifs, quand bien même certains courants et individus antisémites prennent prétexte du sort de peuple palestinien pour alimenter leur rhétorique nauséabonde. Mais leur pseudo « antisionisme » n’a en réalité rien à voir avec une critique politique du caractère structurellement discriminatoire de l’État d’Israël. Pour Soral, Dieudonné et consorts, l’« antisionisme » est une opposition à un sionisme imaginaire, qui serait une entité transnationale gouvernant le monde, avec une politique bancaire, une politique économique, une politique sociale, etc. En somme, une rhétorique complotiste et antisémite qui se sert de la question palestinienne pour déverser un discours de haine et de division, venue d’individus et de courants qui se contrefichent de la situation concrète des PalestinienEs.
En assimilant, d’une part, opposition au sionisme et, d’autre part, antisémitisme, Macron favorise en réalité, comme Valls l’avait fait avant lui (« Derrière l’antisionisme se cache l’antisémitisme »), l’amalgame qu’il prétend combattre. Il se place en effet sur le même terrain que la vermine antisémite : celui de la confusion volontaire entre « juif », « sioniste » et « israélien ». Un jeu de miroirs malsain, au moyen duquel se répondent, en se nourrissant, des courants antisémites et certains des partisans les plus acharnés d’Israël… Un jeu particulièrement dangereux, auquel nous nous opposerons de toutes nos forces, au côté des authentiques antiracistes, qui ont bien compris que les instrumentalisations en cours ne peuvent qu’affaiblir l’ensemble des combats contre les discriminations et contre tous les racismes, y compris l’antisémitisme.
Julien Salingue