Publié le Mercredi 28 février 2018 à 18h06.

Avec Macron, le tango des joyeux militaires

C’est le tango des joyeux militaires 

Des gais vainqueurs de partout et d’ailleurs 

C’est le tango des fameux va-t-en-guerre 

C’est le tango de tous les fossoyeurs1

On se souvient de la « crise » de l’été entre Macron et le chef d’état-major des armées, le général de Villiers.  La brouille est bien terminée. Le 8 février 2018, le gouvernement a adopté le projet de loi de programmation militaire 2019-2025 qui définit les moyens accordés à l’armée pour les sept années à venir. Au total, il s’agit de près de 295 milliards d’euros dont 198 milliards jusqu’à la fin de la présidence Macron, soit en moyenne 39,6 milliards par an, à comparer aux 34,2 milliards du budget pour 2018. Le gouvernement souligne que sur les cinq années à venir, l’effort pour les armées sera de 23 % supérieur à celui des années 2014-2018.

Tous les commentateurs ont souligné cette hausse, qui contraste de manière grossière avec l’austérité généralisée et les suppressions de poste alors que, par exemple, la ministre de la santé Agnès Buzyn qualifie d’« énormément d’argent » les 50 millions d’euros accordés aux EPHAD.  Tous, sauf les Républicains qui ont pinaillé sur le calendrier et, de façon plus inattendue, La France insoumise. Le jour même du conseil des ministres, Jean-Luc Mélenchon, accompagné de deux députés, convoquait une conférence de presse où (citation du site LFI) « ils ont dénoncé le manque de moyens pour l’armée et la faible vision stratégique du pouvoir macroniste. » En évoquant une « faible vision stratégique » Mélenchon semble parler des interventions en Afrique, négligeant le fait qu’il s’agit au contraire d’une stratégie bien établie : depuis 1978, l’armée française est intervenue près de 70 fois à l’extérieur, essentiellement en Afrique et, comme le souligne l’économiste Claude Serfati2, l’activisme militaire vise à maintenir vis-à-vis de l’Allemagne le « rang » d’une France économiquement en recul.

Le discours sur le « manque de moyens » traduit une fois de plus le fait que la manie de la FI de brandir à tout bout de champ le drapeau tricolore n’est pas une simple tactique pour se rendre plus présentable (comme le croient ou font semblant de le croire certains), mais une adhésion profonde de Mélenchon à un « social-impérialisme » qui exalte la France « universelle » car « présente sur les cinq continents ». On peut accorder à Jean-Luc Mélenchon le bénéfice de la franchise : traditionnellement, PS et PCF lorsqu’ils étaient dans l’opposition avaient tendance à critiquer le montant des dépenses militaires, avant de les voter une fois au pouvoir. La FI montre dès maintenant son « sens des responsabilités » vis-à-vis de l’armée.

La presse économique donne pour sa part quitus à Macron : « Budget de la défense : les armées et les industriels rassurés », titrent ainsi Les Echos du 9 février, rappelant sans précaution que le budget militaire est un gigantesque fromage pour les capitalistes, marchands de canons en tête. En effet, les dépenses militaires donnent un débouché garanti aux fabricants d’armements dont l’utilisation effective par « notre » armée est perçue comme un gage de qualité sur les marchés internationaux. Ainsi, Dassault n’avait pas réussi à vendre un seul Rafale pendant quinze ans jusqu’à ce que l’avion fût utilisé au Mali (les aides financières aux acheteurs y ont aussi contribué).

La France est le troisième vendeur d’armes dans le monde et ces armes tuent. On se doit de le rappeler face à l’hypocrisie de la ministre des Armées Florence Parly qui, interrogée sur le Yémen,  écrasé notamment sous des bombes « made in France » vendues aux Saoudiens et aux Emirats arabes unis, n’a pas craint de répondre : « beaucoup de pays sont confrontés à cette situation d’avoir le cas échéant livré des armes à d’autres pays alors que ces armes n’étaient pas censées être utilisées. »

La politique française s’inscrit dans une dangereuse tendance générale à la militarisation dans le monde. Les dépenses militaires sont en hausse et l’utilisation d’armes nucléaires revient dans le champ du possible. Début février, l’administration Trump a dévoilé sa nouvelle posture : Washington entend créer trois nouvelles armes nucléaires dites tactiques qui pourront être utilisées à partir de bombardiers furtifs et de sous-marins. Ces nouvelles ogives permettront aux USA de soutenir qu’ils continuent de respecter les traités de non-prolifération.

Face à cette situation, la dénonciation et, quand cela a une réalité de masse, la lutte contre le militarisme et l’arme nucléaire font bien partie des tâches des anticapitalistes et révolutionnaires. S’inscrire dans de telles mobilisations, tout en dénonçant les menées de son propre impérialisme, ne revient pas à semer des illusions, ni à croire que l’on puisse mettre fin à la course guerrière sans remettre en cause le système capitaliste, selon la critique malvenue que Lutte ouvrière fait, de façon intemporelle, aux actions pacifistes en écrivant vers la fin d’une brochure, « pacifisme ou militarisme, un faux choix politique ».3

Henri Wilno 

 

  • 1. En 1954-1955, entre guerre d’Indochine et d’Algérie, Boris Vian écrivait sur un air de tango la chanson « les joyeux bouchers ».
  • 2. Notre revue a rendu compte dans son n° 87 de mai 2017 de l’ouvrage de Claude Serfati « Le militaire – Une histoire française » (éditions Amsterdam, 2017).
  • 3. « L’industrie d’armement et l’impérialisme », exposé du cercle Léon Trotsky, 17 novembre 2017.