Publié le Lundi 4 octobre 2021 à 14h54.

Bernard Tapie : une mascarade d’hommages

Dimanche 3 octobre 2021, Bernard Tapie est mort à l’âge de 78 ans des suites d’un cancer. 24 heures après l’annonce de son décès par sa famille, les hommages tombent, de l’extrême droite au Parti communiste. Si nous comprenons la tristesse que peut susciter la mort de Tapie pour ses proches ou pour de nombreuses et nombreux fans de l’OM, pourquoi refusons-nous de participer à cette mascarade nationale ?

Argent, football et tricherie

Dans l’hommage qu’il lui rend, Fabien Roussel ose parler d’un « président de l’OM remarquable »1. Si on peut lui reconnaître d’avoir su construire une équipe marseillaise exceptionnelle, ayant remporté quatre titres de champions de France, une coupe de France et une Ligue des champions (la seule remportée par un club français), il est en revanche incroyable pour un « communiste » de considérer que cette présidence fût remarquable. En effet, Tapie finira en prison pour avoir payé des joueurs de l’équipe de Valenciennes afin que l’OM remporte un match de championnat juste avant d’affronter le Milan AC en finale de C1… Plusieurs témoignages, dont celui du joueur Emmanuel Petit2, laissent à penser que ce ne fût pas la seule fois… Tapie président de l’OM ? Remarquable de tricherie, de corruption, de roublardise. Mais très loin de l’idéal que nous nous faisons du communisme, y compris dans le milieu du sport où Tapie incarne à merveille les dérives capitalistes. Qui oserait écrire que le Qatar dirige remarquablement bien le PSG, alors que cette équipe est probablement la meilleure de tous les temps en France avec des stars internationales ? Roussel, après être allé manifester avec les policiers fascistes, avoir défendu une position anti-migrantEs sur les sans-papiers, avoir débattu avec Pécresse à la fête de l’Huma, poursuit sa liste pour affirmer une forme d’admiration pour un patron tricheur.

Nos pensées pour les salariéEs licenciéEs

Mais Tapie n’était pas qu’un président de club. En 1984, « Nanar » reprend l’entreprise Wonder dans laquelle étaient fabriquées des piles salines. 10 mois plus tard, 600 salariéEs de l’entreprise Wonder sont licenciéEs, avec notamment la fermeture de l’usine de Lisieux (240 personnes). Quatre ans plus tard, Bernard Tapie réalisera 73 millions de francs de plus-value sur la revente de l’entreprise (480 millions) après avoir mené des politiques clairement antisociales et néolibérales. Puis quatre ans après la revente, la dernière usine, à Louviers, ferme également. Ce n’est qu’un des exemples de la tyrannie Tapie pour les ouvrierEs et salariéEs. Des plans de licenciements, il en a aussi réalisé à Adidas, à Look…

C’est pourquoi nous ne pouvons tomber dans le panneau, comme le fait Ian Brossat3, du récit de celui qui, parti d’en-bas, a réussi. Certes, Tapie est issu d’un milieu populaire, mais ce ne sont pas ses quelques sorties où il explique apprécier les municipalités communistes qui nous feront oublier qu’il a surtout détruit des milliers de vies de prolétaires, les envoyant au chômage pour se faire du blé pour lui tout seul.

Un opposant à l’extrême droite ?

Tapie nous est présenté partout comme l’opposant numéro 1 à Le Pen père, celui qui a osé le défier en débat. Outre la théâtralité de cette confrontation de 1989, qui reste dans les mémoires, il faut voir plus loin que ce qu’on nous présente. Tapie a effectivement fait de son opposition au FN de Jean-Marie Le Pen un leitmotiv, une approche tactique pour exister politiquement. Il promettait de mettre Le Pen à 10%. Si, en 1994, il est effectivement arrivé à rassembler 12% aux européennes (avec Taubira) et à reléguer Le Pen à 10%, il ne faut pas oublier que cela n’a pu se faire que grâce au soutien de Mitterrand souhaitant casser un de ses concurrents, Michel Rocard, lui aussi candidat aux européennes pour le PS et qui réalisa moins de 15%. Tapie, en réalité, fût un des nombreux porte-flingues du président socialiste mais nullement une arme antifasciste. D’ailleurs, la politique qu’il a défendue a en partie permis au Front national de monter sur la base d’une opposition au néolibéralisme (bien que Jean-Marie Le Pen fut à l’époque néo-libéral, il y a eu une modification de ligne, là encore tactique) et à la gauche socialiste menant une politique de droite mais se posant en antifasciste… Et il ne fait plus mystère que Mitterrand, proche de Tapie, a utilisé le FN et Le Pen pour diviser la droite et ainsi pouvoir plus facilement l’emporter électoralement. Après avoir aidé à libérer le monstre, les mêmes feignent de s’y opposer…

D’ailleurs, l’extrême droite ne s’y trompe pas, dans le concert de louanges en hommage à leur « opposant ». Jean-Marie Le Pen4, Jordan Bardella5 et même Eric Zemmour6 saluent, en chœur, la mémoire d’un grand homme… Notons enfin, sur le terrain de la droite extrême, que Bernard Tapie a, en 2007, apporté son soutien à Nicolas Sarkozy qui menait alors une campagne clairement sur le terrain de l’extrême droite après un passage au ministère de l’Intérieur. On repassera, donc, pour le côté antifasciste de l’homme d’affaires même si certaines sorties qu’il a pu faire contre Le Pen lors du débat restent des moments de télévision importants et populaires.

Comme nous l’avons déjà précisé en préambule de ce texte, nous comprenons que Tapie ait pu, pour des milliers de personnes, symboliser autre chose que ce que nous venons d’écrire. C’est le propre des contradictions de toutes et tous, et Tapie savait aussi faire rêver, notamment à travers le foot et le vélo. Toutefois, politiquement, socialement, il ne fait aucun doute qu’il était un adversaire pour celles et ceux qui luttent pour une société débarrassée du capitalisme.

  • 1. « Bernard Tapie s'en est allé. Je pense à son épouse, ses enfants et ses proches. Par delà nos divergences, je salue son énergie inouïe, y compris dans son combat contre la maladie. Il fut un président de l'OM remarquable.»
  • 2. https://www.sofoot.com/p…
  • 3. https://twitter.com/IanB…
  • 4. « On a parlé et on parle encore des "années Tapie", c'est dire le caractère exceptionnel de sa personnalité, je salue sa mémoire. »
  • 5. « Sa gouaille et son tempérament ne manquaient pas de panache. Cette époque qui s’en va avait résolument du caractère. #Tapie »
  • 6. « Quel homme ! Au-delà de nos désaccords ponctuels, je retiendrai un homme au tempérament exceptionnel, à l’humour ravageur, jusqu’aux dernières minutes de sa vie. Repose en paix. »