Publié le Jeudi 18 juillet 2019 à 11h58.

Affaire Tapie : petits arrangements entre amis ?

Le mardi 9 juillet, le tribunal correctionnel de Paris a prononcé la relaxe de Bernard Tapie et des cinq autres prévenus dans l’affaire dite « de l’arbitrage ». Une relaxe qui survient au terme de plus de 25 ans de saga judiciaire, dans laquelle il est difficile de se retrouver tant les méandres sont nombreux. Une affaire qui n’est pas terminée puisque le parquet a annoncé, le 16 juillet, son intention de faire appel, contrairement aux déclarations initiales de la ministre de la Justice. 

Impossible de synthétiser l’ensemble des épisodes de cette affaire Tapie. En résumé : en février 1993, Bernard Tapie cède le groupe Adidas, par l’intermédiaire du Crédit Lyonnais, sa banque, au milliardaire Robert Louis-Dreyfus. Peu de temps après, Tapie affirme qu’il a été floué par le Crédit Lyonnais, qui lui aurait notamment dissimulé les conditions exactes de la vente. Au terme d’une longue procédure, la cour d’appel de Paris rend, en septembre 2005, un arrêt par lequel Tapie se voit attribuer 135 millions d’euros. Cet arrêt est cassé en octobre 2006 par la Cour de cassation, et l’on s’achemine vers une clôture du dossier. 

Intervention de Sarkozy

Mais, comme l’expliquait Laurent Mauduit en mars 2019, « c’est à cet instant précis, au moment où la justice s’apprête à donner raison à l’État, que Nicolas Sarkozy, fraîchement élu en mai 2007, donne l’instruction que la justice ordinaire de la République soit dessaisie de l’affaire et que celle-ci soit renvoyée devant une justice privée, celle d’un tribunal arbitral. »1 Un arbitrage qui sera favorable à Tapie, qui se voit allouer la modique somme de 404 millions d’euros, ouvrant la porte à bien des interrogations sur les conditions dans lesquelles un tel arbitrage a pu être rendu, avec notamment des questionnements sur le rôle qu’ont pu jouer Christine Lagarde, alors ministre de l’Économie, et Nicolas Sarkozy. 

Une procédure judiciaire sera ouverte en septembre 2012, c’est-à-dire après le quinquennat Sarkozy, qui aboutira à une annulation de l’arbitrage en raison d’une « fraude », annulation confirmée à deux reprises en 2015 par la cour d’appel de Paris et la Cour de cassation. À la fin de l’année 2016, Christine Lagarde sera même reconnue coupable de « négligence » pour n’avoir pas fait appel de l’arbitrage, malgré l’accumulation d’éléments tendant à démontrer la fraude. Une culpabilité sans condamnation, qui n’empêchera pas Lagarde de demeurer à la tête du FMI, avant de prendre, en 2019, celle de la Banque centrale européenne. 

Une fraude, pas de responsables

L’affaire récemment jugée concernait le volet pénal de l’affaire, après que la justice civile a établi la fraude et annulé l’arbitrage. Et l’on en arrive donc, avec la relaxe générale, à cette situation rocambolesque : alors qu’il a été condamné au civil (et qu’il n’a toujours pas remboursé un centime des 404 millions d’euros indument perçus), Tapie est innocenté au pénal, comme les cinq autres prévenus, parmi lesquels Stéphane Richard, PDG d’Orange et ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde. En d’autres termes, il y a eu fraude, mais personne n’en est responsable, et personne ne sera donc condamné pour fraude !

Dans la foulée, des éléments sont venus éclairer ce jugement, de la proximité familiale entre le procureur de Paris Rémy Heitz et l’un des six prévenus, Jean-François Rocchi, dont deux des enfants sont mari et femme, aux déclarations de la ministre de la Justice Nicole Belloubet, qui a déclaré le 10 juillet qu’il ne serait « pas forcément logique » que le parquet fasse appel du jugement de relaxe. Des éléments qui ont suscité l’indignation des magistrats, y compris de la très droitière Union syndicale des magistrats (USM). 

Finalement, Rémy Heitz s’est « déporté » de l’affaire et le parquet a fait appel. En pleine affaire Rugy, il semble que le gouvernement ait fait le choix de l’apaisement, mais l’affaire est à suivre, tant elle est un concentré des mécanismes de corruption et de copinage consubstantiels à la 5e République. 

Julien Salingue