En affirmant « Il est mort au champ d’honneur professionnel, parce que c’était un patron de terrain », Jean-Pierre Elkabbach a donné le ton à la pluie d’éloges qui s’est abattue sur le pays après l’annonce de la mort du PDG de Total, Christophe de Margerie.
Ainsi, les trois journaux télévisés du 13 heures, ont consacré en cumulé 30 minutes, sur 1 h 30 en tout, à un seul sujet : le charisme du défunt et la symbiose entre le boss et ses employéEs. Morceaux choisis : « les salariés étaient remplis de tendresse pour cet homme très humain qu’ils ne connaissaient pas mais qu’ils croisaient souvent dans l’ascenseur » ou encore toujours de l’impayable Jean-Pierre Pernaut : « le patron de Total restait très proche de ses 100 000 salariés dans 130 pays ». Quel homme... Il a mis fin aux conflits entre les intérêts de classes chez Total !Ce matraquage médiatique est, évidemment, en phase complète avec les louanges d’une grande partie de la classe politique : PS, UMP, UDI, Front national... Laurence Parisot, qui sait bien, elle, que la lutte de classes est toujours d’actualité, qualifie Margerie de « chef d’entreprise d’exception », signe de fraternité envers l’un des siens.Mais le plus prolixe aura encore une fois été le Premier ministre, qualifiant le PDG défunt de « patriote, un homme qui aimait profondément son pays, un citoyen engagé ». On comprend que Valls, contesté notamment par une partie des siens sur sa politique économique et sociale, souhaite l’unanimité sur un sujet somme toute assez éloigné du débat budgétaire, et espère que l’attention de la population sera détournée vers ce drame humain estampillé « perte nationale ».
Unité nationaleDans ce beau concert, fruit de la collaboration entre le patronat, le droite et la gauche de gouvernement, la juste position de Gérard Filoche résonne comme un couac inacceptable. Le gouvernement doit faire taire ce trublion. Et là, c’est aussi l’unité retrouvée au sein du PS, de ceux qui jugent les idées socialistes passéistes à ceux qui refusent d’abandonner le mot de « socialiste ». Ainsi, relayant l’injonction complice venue de l’UMP, Cambadélis n’a pas hésité à demander que Gérard Filoche soit déféré devant la Haute autorité du Parti socialiste...Nous étions nombreux à ignorer son existence, et se pose du coup aujourd’hui la question de son utilité : pourquoi n’a-t-elle pas exclu les Cahuzac, Thévenoud, Guérini, Strauss-Kahn et leurs pairs qui, par leurs actes, ont bafoué des valeurs que les citoyens croyaient de gauche, qui ont contribué par leurs comportements personnels et politiques au désarroi, à la désespérance des électeurs, laissant la voie ouverte à la montée du FN et de ses idées réactionnaires ?Pourquoi un tel procès en sorcellerie contre Gérard Filoche ? Celui-ci a seulement rappelé quelques vérités, dont celles-ci : il meurt 2 000 salariéEs par an lors d’accidents professionnels souvent évitables, dans l’indifférence générale, notamment celle des journaux télévisés...Total, dont Christophe de Margerie était le PDG, a été très complaisant avec la dictature birmane, laissant utiliser le travail forcé pour ses propres projets. Il a dévoyé les normes, malgré les risques connus, souvent suivis de réelles catastrophes sociales et écologiques, à chaque fois que cela pouvait limiter un tant soit peu ses profits. Il a reçu des dividendes louches, notamment dans le cadre d’une opération dite humanitaire en Irak. Enfin, Total ne payait pas l’impôt sur les sociétés en France !Christophe de Margerie, un vrai « patriote ». Puisqu’on vous le dit !
Roseline Vachetta