« Pouvoir d’achat », « pouvoir d’achat », ne cessent de nous seriner Macron et le gouvernement. En réalité, derrière l’écran de fumée, se joue une offensive de grande ampleur pour faire, une fois de plus, payer la crise aux salariés, aux retraités, aux chômeurs… Certes, les prix s’envolent mais capitalistes et gouvernement veulent avant tout préserver les profits.
Selon l’INSEE, les prix du mois de juin se sont établis à 5,8% au-dessus du niveau de l’année dernière. Tous les prix progressent : l’énergie (+33%), l’alimentation (+5,7%, avec de fortes différences selon les produits), les services (3,2%). Pour les prix alimentaires, pour 21 catégories de produits de grande consommation, l’inflation dépasse en juin 10% par rapport à juin 2021 selon le cabinet IRI qui travaille à partir des ventes des grandes et moyennes surfaces : la dérive atteint 17% pour les pâtes alimentaires. Pour ce qui est des salaires, d’après le service statistique du ministère du Travail, le salaire mensuel de base (SMB) de l’ensemble des salariés du secteur privé a progressé de 2,3 % entre le 1er trimestre 2021 et le 1er trimestre 2022, soit moitié moins que l’inflation : les prix à la consommation ont augmenté de 4,6 % entre fin mars 2021 et fin mars 2022. Sur un an, le pouvoir d’achat du SMB a donc baissé de 2,3%. On pourrait faire à peu près le même constat pour les salaires des fonctionnaires, les retraites, les prestations sociales.
Les profits se portent bien
Par contre, les profits, les dividendes et les salaires des grands patrons se portent bien. Les sociétés du CAC 40 ont réalisé en 2021 des profits record : elles ont dégagé un résultat net de près de 160 milliards d'euros, soit deux fois plus qu'en 2019, année d’avant la pandémie. Leur endettement net fin 2021 est à son plus bas niveau depuis 15 ans. Les dividendes ont également dépassé leur niveau record de 2019. À ces versements de dividendes s'ajoutent de nombreux programmes de rachat d'actions (qui représentent également des transferts vers les actionnaires), dont près d'un milliard d'euros chez Société générale, 750 millions d'euros chez Carrefour et deux milliards de dollars pour TotalEnergies.
Il existe, parmi les économistes, diverses explications de l’inflation : par la demande, par les coûts, etc. Certains mettant en cause l’émission trop importante de monnaie par la banque centrale ou les banques. Il y aurait certainement une analyse à faire des désordres du capitalisme depuis la crise de 2008-2009, auxquels se sont ajoutés ceux causés par la pandémie de coronavirus, la volonté de certains producteurs de pétrole et de gaz de faire monter les cours, la situation de l’économie chinoise et l’impact de l’agression russe contre l’Ukraine. Ceci sans parler de la spéculation sur les marchés des matières premières qui amplifie l’impact des variations de prix liées aux variations de la production et aux problèmes d’approvisionnement.
Qui va payer la crise ?
Mais, en définitive, pour les patrons d’un côté et les salariéEs de l’autre, la question est : qui va supporter la hausse des prix, les revenus du capital ou les revenus du travail ? Les économistes dominants parlent de la boucle prix-salaires. Pour eux le risque est que la hausse des prix réveille le « monstre qui dort » : les revendications salariales. Mais en fait, ce qui est en cause aujourd’hui, c’est, comme l’écrit le journaliste économique de Mediapart, Romaric Godin, une boucle profits-salaires : certains coûts des entreprises (énergie, matières premières, composants) s’accroissent et, pour préserver leurs profits, voire les élever, les entreprises qui le peuvent augmentent leurs prix. Et elles refusent d’accorder des augmentations de salaires qui couvriraient au moins l’inflation : elles continuent de jouer l’individualisation, les primes non reconductibles d’une année sur l’autres (et qui n’apportent pas de droits sociaux). Derrière l’inflation, il y a en fait la vieille lutte des classes menée par les capitalistes pour exploiter un maximum les salariéEs.
Face à cela le gouvernement Macron-Borne joue son rôle de rebouteux incompétent : il triture et caresse un peu là où ça fait mal sans rien faire pour améliorer vraiment la situation de ceux qui souffrent. Le projet de loi « pouvoir d’achat » est surtout une suite d’aumônes temporaires qui de fait entérinent la perte de pouvoir d’achat : face à une hausse des prix de 5,8%, 3,5% pour la valeur du point d’indice des fonctionnaires, c’est à ce jour (sans tenir compte de la hausse des prix prévue pour le reste de l’année et de la perte de pouvoir d’achat du 1er semestre) presque 2,5% de recul (ceci sans parler des années antérieures), 4% pour les retraites de base, c’est 1,8%. Pas de coup de pouce au SMIC, bien sûr. Quant aux chômeurEs, à l’UNEDIC, patronat et CFDT se sont mis d’accord pour une revalorisation de 2,9%. Quand les grands patrons de l’énergie appellent les particuliers à limiter la consommation, c’est tellement ridicule que le journal économique les Échos (pas précisément un brûlot gauchiste) publie une enquête qui montre que, pour des raisons financières, environ un Français sur deux a déjà renoncé au cours des derniers mois à des déplacements en voiture ou a dû baisser le chauffage. Près d’un sur trois estime qu’il consomme déjà le minimum de ce dont il a besoin.
Construire le rapport de forces
Toutes les crises sont l’occasion des mêmes discours : « Tout le monde est menacé », « On est tous dans le même bateau », etc. Cette crise en est une nouvelle fois l’illustration. Ceux qui travaillent (ou sont au chômage ou retraitéEs) n’ont aucune raison de faire les frais d’une crise dont ils ne sont pas responsables. Il faut indexer salaires, retraites et allocations sur l’inflation comme c’était le cas en 1982 — avant que Mitterrand, dans lequel certains en 1981 avaient placé tant d’espoir, commence à faire une politique favorable aux profits. Il faut augmenter le SMIC et tous les salaires. Si les patrons soutiennent que ce n’est pas possible, il faut qu’ils donnent accès à leur comptabilité et justifient leurs choix, par exemple verser des dividendes au lieu d’augmenter les salaires. Ceux qui produisent doivent contrôler l’économie : c’est le seul moyen d’imposer plus de justice — et aussi de lutter vraiment contre le réchauffement climatique. Le système capitaliste est à bout de souffle, sa survie coûte de plus en cher à la grande majorité, mais ceux qui en profitent ne lâcheront rien sans rapport de forces dans les entreprises et dans la rue.