Le « Grand débat » de Macron vise en définitive à détourner l’aspiration la plus profonde des Gilets jaunes : la justice. Une aspiration qui se cristallise notamment autour des thématiques liées à la fiscalité, à partir desquelles bien d’autres questions sont posées.
Avec Macron (comme avec ses prédécesseurs), ceux d’en haut payent toujours moins, celles et ceux d’en bas subissent une double peine : des taxes et des services publics (hôpitaux, écoles…) dégradés. Salaires et retraites sont bloqués pour le plus grand nombre. La police réprime les manifestantEs. C’est à cela qu’il faut mettre fin, tout en engageant une véritable transition écologique.
Une fiscalité injuste
La fiscalité a été un des éléments déclencheurs de la révolte des Gilets jaunes. L’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 est ainsi rédigé : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. ». C’est la base de la justice fiscale. Mais ce principe est, depuis des années, battu en brèche. Un allocataire du RSA ou une personne à bas salaire consomment quasiment la totalité de leur revenu : ils payent donc la TVA sur l’essentiel de leur revenu. Le taux normal de TVA est de 20 % et le taux réduit de 5,5 %. Si on y ajoute les taxes sur les carburants, on peut considérer qu’un bas revenu paye plus de 10 % de son revenu en impôt. Or, d’après des calculs de l’économiste Thomas Piketty, Mme Bettencourt payait, en additionnant impôt sur le revenu et ISF, 6 % d’impôt sur son revenu. Elle consommait une faible part de son revenu, mettons 20 %. Ce qui devait faire au total environ 10 % comme les personnes à bas revenu… à l’époque où l’ISF existait !
La fiscalité actuelle n’est donc pas conforme à la Déclaration de 1789. Les impôts ne touchent pas les citoyenEs en fonction de leurs facultés. La TVA représente 53 % des recettes des impôts et la taxe sur les produits pétroliers 5 %. L’impôt sur le revenu rapporte 25 % des recettes et l’impôt sur les sociétés 9 %. La TVA reste la même pour touTEs les consommateurEs et les taxes sur les carburants augmentent. L’impôt sur le revenu est plus juste dans son principe car son taux est progressif (augmente avec le revenu) mais il est réduit par les niches fiscales, qui bénéficient largement aux plus riches, surtout quand ils ont des conseillers fiscaux ou peuvent directement discuter de leurs impôts avec Bercy. Ceci sans parler de la fraude qu’organisent les grandes fortunes : voir entre autres les « Panama papers » et Cahuzac. Macron a encore accru les injustices : suppression de l’essentiel de l’ISF et mise en place du prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital, qui les sort de l’impôt sur le revenu et bénéficie aux plus grandes fortunes. Les dividendes et intérêts (déclarés) sont désormais taxés à un taux maximum de 30 %, contre 55 % pour les salaires et revenus d’activité non salariée.
Des dépenses en faveur des patrons
De plus, le revenu des impôts est trop utilisé pour des dépenses en faveur des patrons, comme les quelque 150 milliards par an d’aides aux entreprises en 2017. En 2019, ce sera plus : le CICE coûtera à lui seul environ 40 milliards d’euros.
Mais sans impôts, pas de services publics. Donc l’objectif n’est pas de baisser les impôts comme le susurre Macron dans sa lettre : il faut qu’ils soient justes et servent à un fonctionnement correct des services publics utiles à la population. Or, les services publics sont attaqués pour compenser les baisses d’impôts en faveur des grandes entreprises et des plus riches. Pour accéder aux services publics dans les petites villes, les villages, il faut faire des distances de plus en plus longues. Les banlieues des grandes villes sont aussi victimes de ces économies. Les impôts y apparaissent de moins en moins comme la contrepartie des services publics mais comme des dépenses supplémentaires auxquelles les plus riches échappent.
Des mesures d’urgence
Derrière la dénonciation des injustices fiscales, c’est donc en réalité une contestation profonde des politiques de Macron, qui court dans les pas de ses prédécesseurs, qui s’exprime. À cet égard, ce sont les mesures d’urgence suivantes qui devraient être au centre du « Grand débat » :
– La hausse du SMIC et des retraites. Cette question n’apparaît pas dans la lettre de Macron, mais elle est essentielle. Pour le SMIC et les salaires en général, il faut une vraie augmentation : pas un tour de passe-passe avec la prime d’activité (qui ne concerne pas touTEs les smicardEs et ne compte pas pour la retraite) ou la suppression des impôts et cotisations sur les heures supplémentaires qui incitent à faire faire des heures supplémentaires plutôt qu’à embaucher.
– Le rétablissement de l’ISF : grâce à sa suppression, les super-riches ont gagné près de 4 milliards d’euros. Et, d’ailleurs, l’ISF pourrait être renforcé car trop de richesses y échappaient dans la mesure où quasiment aucun système de contrôle n’existait (contrairement à l’impôt sur le revenu), ou étaient imposées à un taux trop faible. D’après Thomas Piketty, son produit pourrait passer de 5 milliards (avant la réforme Macron) à 10 milliards.
– La suppression du CICE. Cette année, le coût du CICE mis en place par Hollande va passer de près de 20 à 40 milliards, car il est transformé en baisse des cotisations employeurs. Le CICE, d’après les rapports officiels, n’a créé que de 100 à 200 000 emplois maximum. Cela fait cher de l’emploi… Un emploi rémunéré 1 700 euros net « coûte » 2 920 euros environ, toutes cotisations et charges comprises (sans tenir compte des aides à l’employeur), soit 35 000 euros par an : 40 milliards du CICE, c’est 1,14 million d’emplois à 1 700 euros net. Il faut supprimer le CICE et consacrer l’argent à des emplois utiles : à l’école, dans la santé, pour les personnes âgées…
– Un taux de TVA nul pour les produits de première nécessité, en attendant une réforme global de la fiscalité.
– Il faut supprimer les taxes sur les carburants : pour ceux qui sont obligés de prendre leur voiture pour aller travailler, faire leurs courses, aller voir un médecin… leur hausse est catastrophique. En fait, lorsqu’on est obligé d’utiliser sa voiture, on n’a pas le choix : ce sont les autres dépenses qui sont réduites.
– Il faut annuler toutes les hausses de la CSG, impôt injuste, et cesser le pillage des finances de la Sécu.
– Pour fournir des alternatives à la voiture et engager la transition écologique, il faut faire le contraire de ce que fait Macron : arrêter toute fermeture de lignes de train, augmenter les transports en commun et lancer un grand plan de réhabilitation des logements. Et fournir une médecine de proximité : arrêt des fermetures d’hôpitaux et de maternité, lutte contre les déserts médicaux et rétablissement et développement des services publics démolis depuis des décennies : Sécurité sociale, poste, Pôle emploi, etc.
– Il faut contrôler les éluEs, dont les rémunérations doivent être plafonnées au niveau du salaire moyen et qui doivent pouvoir être révoqués en cours de mandat. Tout lien de leur part avec des lobbies ou des entreprises doit être interdit. Les possibilités d’intervention des citoyenEs ne sauraient se limiter au RIC, dont les modalités doivent faire l’objet de débats.
– Il n’est pas possible que la police soit surarmée pour frapper et blesser des personnes qui manifestent pour la justice. Nous exigeons, en urgence, le retrait des GLI-F4, LBD 40 et toutes armes dites « non létales » ou à « faible létalité ». Il faut en outre libérer touTEs celles et ceux qui ont été condamnéEs ou attendent leur procès pour participation au mouvement.
Voilà les mesures qui devraient être discutées. Le NPA ne les a pas inventées, elles sont présentes d’une façon ou d’une autre dans les débats des Gilets jaunes. Elles ne suffiraient pas à changer radicalement la société, mais permettraient de faire un pas en avant.
Henri Wilno