Depuis les européennes et les mauvais résultats des listes de gauche, entre autres et notamment le faible score de la FI, les débats sont vifs et les initiatives (appels, réunions) se multiplient. Des discussions qui peuvent être utiles et saines, et auxquelles nous entendons prendre toute notre part, à condition de ne pas s’enfermer dans des logiques institutionnelles et/ou électorales.
Notre intention n’est pas de distribuer les bons et les mauvais points, ou de prendre partie pour telLE ou telLE dans les vifs débats qui agitent, de manière visible, La France insoumise. Mais nous n’entendons pas demeurer spectateurEs des discussions en cours, car les questions posées concernent en réalité l’ensemble de notre camp social : quelle stratégie pour gagner contre Macron ? Quelles perspectives politiques alternatives au face-à-face mortifère entre LREM et le RN ? Quelle représentation politique pour celles et ceux qui veulent en finir avec le capitalisme ?
Le poids de l’absence de victoires sociales
La pire façon de prendre la discussion consisterait à se focaliser sur les élections européennes. Une telle focalisation ne peut en effet qu’engendrer des questionnements et des débats qui passeraient à côté des enjeux de la situation, et des réponses en totale dissonance avec les préoccupations concrètes de celles et ceux qui luttent et, plus généralement, de celles et ceux qui refusent de se soumettre à l’ordre néolibéral. Le problème n’est en effet pas tant le contenu de la campagne des unEs et des autres ou la personnalité de telLE ou telLE responsable politique de gauche que l’état du rapport de forces global et, partant, de la confiance qu’ont les salariéEs et les jeunes dans la possibilité de changer les choses.
Toute discussion sur les perspectives sociales et politiques pour le camp des exploitéEs et des oppriméEs ne peut en effet faire l’impasse sur cette coordonnée essentielle de la situation : si les mobilisations existent, y compris sous des formes inédites comme cela a été le cas avec le surgissement du mouvement des Gilets jaunes, cela fait désormais de longues années que nous n’avons pas remporté de victoires sociales. Depuis la victoire contre le Contrat première embauche (CPE) en 2006, toutes les mobilisations sociales d’ampleur ont même été défaites, avec les cas particulièrement emblématiques des retraites en 2010, de la loi travail en 2016 et de la contre-réforme de la SNCF en 2018.
Ces défaites marquent les esprits, tant au niveau de la confiance dans la capacité de résister à l’offensive tous azimuts de la Macronie que dans la méfiance, pour ne pas dire l’hostilité, notamment chez certaines franges des Gilets jaunes, vis-à-vis de la gauche sociale et politique, en premier lieu des organisations syndicales et de leurs stratégies perdantes. À ce titre, le mouvement des Gilets jaunes a joué un rôle de puissant révélateur du décalage entre, d’une part, le niveau de colère et d’explosivité sociales et, d’autre part, l’absence de volonté des appareils d’en finir avec la routine du « dialogue social » et de s’en prendre frontalement au gouvernement.
Convertir la colère sociale en expériences victorieuses
Il est dès lors illusoire de penser qu’un rapport de forces moins défavorable pourrait être reconstruit contre le patronat et le gouvernement si l’on ne pose pas, en premier lieu, la question des nécessaires victoires sociales. Ceux qui s’engagent, aujourd’hui, dans des discussions polarisées par les prochaines échéances électorales, s’enferment dans une stratégie de double défaite, politique et sociale. Idem pour ceux qui se focalisent sur les réponses organisationnelles, oubliant que ce sont les mobilisations sociales victorieuses qui produisent des décantations/recompositions à gauche, et pas l’inverse.
Pour le NPA il s’agit donc, sans sectarisme, de proposer une méthode alliant action et discussion. Pour gagner contre Macron, la solution n’est certainement pas la fabrication du bon programme et du bon meccano électoral pour 2022, mais la construction d’une riposte sociale unitaire et massive pour mettre un coup d’arrêt à ses politiques libérales-autoritaires. En tirant le bilan d’étape de la séquence ouverte par le mouvement des Gilets jaunes, et de l’incapacité de la gauche à apporter un soutien à cette mobilisation de notre classe, qui a fait trembler la Macronie. En se souvenant de la séquence de la lutte à la SNCF en 2018, et du cadre unitaire de soutien qui s’était mis en place, de ses forces et de ses faiblesses. En se persuadant que face aux contre-réformes qui s’annoncent (retraites, chômage), il sera vital de faire front.
C’est à la lumière de ces discussions et de leurs vérifications pratiques que les confrontations de points de vue quant aux perspectives politiques peuvent faire sens. Il ne s’agit pas d’opérer une dichotomie entre politique et social : c’est même tout le contraire ! Il s’agit de refuser cette séparation et de défendre une idée simple : l’explosivité sociale est bien là, comme le montrent les mobilisations actuelles, entre autres aux urgences et dans l’éducation, sans oublier les Gilets jaunes qui n’ont pas dit leur dernier mot, et la priorité de toute la gauche sociale devrait être d’œuvrer à la convertir en expériences de luttes collectives victorieuses, seules à même d’éclaircir un horizon politique de plus en plus assombri.
Julien Salingue