Le 18 mai sera le jour de l’Acte 27 des Gilets jaunes, qui correspondra au franchissement, par le mouvement, du cap des 6 mois de mobilisation. 6 mois durant lesquels, semaine après semaine, et ce malgré les pronostics d’« essoufflement », la répression policière et les manœuvres de Macron, le mouvement s’est installé et imposé comme un fait social et politique majeur, qui a profondément déstabilisé le bel édifice macronien… et le mouvement ouvrier.
Triple révélateur
Le mouvement des Gilets jaunes a joué, à bien des égards, un rôle de révélateur, au sens photographique du terme. Révélateur, tout d’abord, par la soudaine irruption, sur la scène de la contestation des politiques gouvernementales et hors des canaux traditionnels de mobilisation, de fractions des catégories populaires peu habituées à se mobiliser et à revendiquer dans l’espace public, d’une colère massive contre une politique globalement perçue comme injuste, doublée d’un sentiment (légitime) de relégation territoriale, lié notamment à l’augmentation continue des distances à parcourir pour aller ou boulot, accéder aux services publics ou tout simplement faire ses courses.
Révélateur, ensuite, du caractère contradictoire de la situation politique et sociale, avec d’une part un rapport de forces global dégradé, en défaveur de notre camp, un recul et une paralysie des organisations traditionnelles, et un affaiblissement de l’identité de classe (entendue comme une condition et une force collectives) mais, d’autre part, la possibilité d’explosions sociales, dans un contexte de crise continue du système capitaliste et de gestion néolibérale de cette crise, génératrice de toujours plus de pauvreté, d’inégalités, de précarité et de peur du déclassement.
Révélateur, enfin, de la nature profonde du pouvoir macronien, dont la violence des politiques néolibérales n’a d’égal que le mépris contre les catégories populaires, et qui n’a pas hésité, face à l’extension de la contestation, à recourir à des méthodes répressives inédites depuis des décennies. Une escalade autoritaire qui n’est pas un accident de parcours mais un élément structurant du macronisme, qui intègre nécessairement une dimension ultra-répressive dans la mesure où la faiblesse de sa base sociale et son aversion pour les « corps intermédiaires » ne peuvent lui permettre d’établir une quelconque hégémonie.
Retour de la question sociale
Six mois après le 17 novembre, premier Acte d’une mobilisation qui a pris de court l’ensemble du mouvement ouvrier – y compris le NPA –, suscitant méfiance, voire défiance au sein de ce dernier, le mouvement des Gilets jaunes peut se targuer, même s’il est loin d’avoir obtenu une réelle victoire sur ses revendications, d’avoir contraint Macron à des reculs, notamment sur l’augmentation de la taxe sur les carburants et sur la CSG des retraitéEs. Mais la principale victoire du mouvement est d’avoir su imposer, dans le paysage politique, un « retour de la question sociale », qu’il s’agisse des salaires et des revenus, des services publics ou de la nécessaire transition écologique. Un retour de la question sociale qui a pu jouer le rôle d’encouragement aux luttes, comme dans ces nombreuses entreprises où des grèves ont été organisées pour obtenir la « prime Gilets jaunes » concédée par Macron en décembre.
Les questions démocratiques continuent d’être elles aussi sur le devant de la scène, qu’il s’agisse du contrôle sur les élus, de la nécessité de structures permettant à la population de s’emparer des discussions la concernant, ou plus généralement des institutions antidémocratiques de la 5e République, même si le mouvement, dans son ensemble, ne se distingue pas par sa structuration démocratique et que la revendication du RIC est posée, par certaines franges des Gilets jaunes, comme une solution miracle alors qu’elle est loin d’être autosuffisante.
Ce retour des questions sociales et démocratiques n’a cependant pas, à l’heure actuelle, débouché sur des victoires majeures, et le gouvernement entend bien poursuivre ses projets destructeurs. Mais force est de constater que le pouvoir n’a pas réellement repris la main, et que l’instabilité et la confusion demeurent au sommet de l’État, avec des crises et des départs à répétition et une légitimité considérablement et durablement, voire définitivement, érodée. On peut affirmer sans exagération que le mouvement des Gilets jaunes a provoqué un changement de climat majeur, qu’il va marquer durablement la situation politique et sociale, et que la plupart de ses effets, et de ses répliques, sont devant nous. Autant de leçons à tirer, de débats à mener, de perspectives à tracer et d’initiatives à prendre et à soutenir pour envisager la nécessaire construction d’une mobilisation de masse qui aille jusqu’au bout.