Gilles Perrault est mort le 3 aout à 92 ans. Cet écrivain avait mis son talent au service de causes telles que le combat contre la peine de mort, le colonialisme, le fascisme, la guerre. D’abord journaliste, après une très brève carrière d’avocat, il avait vécu l’expérience de la guerre d’Algérie dans un bataillon de parachutistes. Certains lui ont reproché ce passage dans un corps réputé pour sa férocité, mais s’il a pu, à 22 ans, être séduit par la fraternité d’armes et l’élitisme militaire, Gilles s’est très vite détaché de ce romantisme malsain.
Dès 1961, alors que la guerre faisait encore rage, il en a tiré un recueil de nouvelles, « Les parachutistes », où il dénonce un dressage qui transforme des jeunes hommes en tueurs et en tortionnaires. Un formatage qu’il comparait à celui des nazis.
Auteur de plusieurs livres fortement polémiques
Mais c’est en 1978 qu’il se fera connaître du grand public en publiant Le Pull-over rouge, un livre consacré à Christian Ranucci, un jeune homme accusé d’un meurtre d’enfant qui fut guillotiné en 1976, après que Giscard d’Estaing lui avait refusé la grâce présidentielle, par démagogie. Perrault dénonçait une enquête et une procédure bâclées, ce qui lui valut des poursuites judiciaires, à l’initiative de la Brigade criminelle de Marseille, et une condamnation judiciaire.
Un autre de ses livres devait avoir un retentissement considérable : Notre ami le roi (1990), qui disséquait de façon implacable les liens qui unissaient l’État français et une partie de la bourgeoisie au sinistre tyran Hassan II, dictateur et tortionnaire. L’impact de cette publication fut tel qu’une crise diplomatique éclata entre la France et le Maroc, après que le roi avait vainement tenté d’obtenir l’interdiction du livre.
Parmi les livres les plus marquants de Gilles Perrault, qui en publia plus d’une cinquantaine, dont des polars, des romans d’aventure et d’espionnage, il faut souligner ceux qui rendent hommage à des militants communistes et anticolonialistes. Un homme à part dresse le portrait de Henri Curiel, militant anticolonialiste assassiné. Taupes rouges contre SS et L’Orchestre rouge racontent l’épopée du réseau d’espionnage dirigé par le militant communiste Léopold Trepper, au service de l’URSS pendant la Seconde Guerre mondiale. Perrault souligne l’héroïsme de ces femmes et hommes entièrement dévouéEs à leur parti, sans pour autant manifester de complaisance vis-à-vis de l’appareil stalinien.
L’engagement de Perrault n’avait rien à voir avec celui de ces écrivains mondains qui se contentent de signer des pétitions. Après un bref passage au Parti communiste, il s’était rapproché de l’extrême gauche et faisait partie des fondateurs du mouvement antifasciste Ras le Front en 1990, aux côtés d’autres écrivains militants comme Maurice Rajsfus. Cette mobilisation répondait à l’inquiétude suscitée par la montée du Front national et la participation de Le Pen à la Présidentielle de 1988. Perrault payait de sa personne en participant à de nombreux meetings avec un grand talent d’orateur.
De Ça suffat comme si à Ras le Front
En 1989, Perrault fut avec la LCR à l’origine de la mobilisation « Ça suffat comme si », contre la dette du Tiers-Monde, le colonialisme et l’apartheid. Seul orateur à prendre la parole place de la Bastille devant des dizaines de milliers de personnes, à la suite d’un concert de Renaud, il s’en prit violemment aux cérémonies hypocrites du bicentenaire de la révolution française : « Nous autres, devait-il notamment déclarer, nous convoquons ici ce soir les ombres des quarante mille enfants qui, chaque jour, meurent de faim dans le Tiers-Monde. »
En 1991, au cours d’une émission TV, il poussa un coup de gueule mémorable contre la guerre du Golfe, n’hésitant pas à appeler au « sabotage de la machine de guerre » en évoquant les dockers qui avaient balancé dans le port de Marseille des camions d’armes en partance pour la guerre d’Indochine. Cette sortie virulente lui valut de violentes attaques de la classe politique et des médias, même le PC se démarqua de lui. Au point qu’il fut par la suite boycotté par les grands médias.
C’est une autre attaque, venant de son propre camp, qui devait amener Perrault à quitter Ras le Front et porter un rude coup à ce mouvement quelques années plus tard. Un autre écrivain, Didier Daeninckx, lançait une campagne de calomnies délirantes contre lui, l’accusant à la fois d’être négationniste, complice des islamistes et… pédophile refoulé. Daeninckx ne lui pardonnait pas d’avoir pris la défense d’un de ses amis, Serge Quadruppani, qui faisait partie de ses bêtes noires. Gilles décida de ne pas répliquer, pour ne pas s’abaisser au niveau de Daeninckx. On peut regretter qu’il n’ait pas reçu de tous les militants antifascistes le soutien qu’il en attendait. Profondément meurtri, mais se drapant dans sa dignité, il se mit à l’écart et déclara qu’il était devenu « un SDF de la politique ».
Gilles Perrault demeura cependant engagé, notamment pour des causes locales, dans sa région du Cotentin. Il convient de souligner que ce fut un homme particulièrement modeste qui ne choisissait pas les causes à la mode pour se mettre en avant et n’hésitait jamais à aller à contrecourant, comme en revendiquant la libération, non seulement de Cesare Battisti, mais des militants d’Action directe. Il nous manquera.