Publié le Jeudi 20 décembre 2018 à 12h48.

Il faut que les capitalistes aient peur

Le néolibéralisme n’est pas un ensemble de techniques économiques, c’est avant tout un ensemble articulé de recettes pour mener la guerre de classe. « Un État fort pour une économie libre » : telle était la ligne directrice de Margaret Thatcher. Réduction du rôle de l’État pour laisser libre cours aux capitalistes d’un côté, renforcement et sophistication des techniques répressives de l’autre. À cela s’ajoute un troisième volet : le pseudo-dialogue.

Dans un livre récent1, le philosophe Grégoire Chamayou raconte, à titre d’exemple, comment Nestlé a embauché, dans les années 1970, un consultant venu du monde militaire. Il s’agissait de désarmer les critiques alors faites à la multinationale. Une des ficelles utilisées est d’inviter les opposants à « dialoguer » : il s’agit « d’épuiser l’adversaire dans d’interminables pourparlers, et en posant le consensus comme norme absolue, […] de disqualifier ceux qui refusent le dialogue comme des irresponsables. » L’objectif, explique Chamayou, est de diviser les militantEs : « Il faut isoler les "radicaux", avec lesquels il n’y a rien à faire, rééduquer les "idéalistes", sincères mais crédules. […] Quant aux "réalistes", on parvient facilement à les coopter, à échanger un accord contre de la gloire ou de l’argent ».

C’est clairement ce que le pouvoir macronien essaie en ce moment de faire avec les Gilets jaunes. Y compris en fixant le contenu de ce dialogue : le rétablissement de l’ISF est écarté – alors que c’est, depuis le début, une des revendications majoritaires du mouvement – tandis que l’identité nationale et l’immigration – thématiques jusqu’ici marginales et uniquement portée par l’extrême droite – sont introduites dans la « consultation nationale » lancée par Macron.

Le pouvoir essaie de reprendre la main. Il a eu peur pendant quelques jours, d’où quelques concessions en trompe-l’œil, mais pas assez peur, et pas assez longtemps : la seule chose qui pourrait vraiment le faire bouger, c’est que les puissants de ce pays – les capitalistes et leurs commis des sommets de l’État – lui disent que ça devient trop dangereux pour eux. C’est l’enjeu de la suite, pour les Gilets jaunes et le mouvement ouvrier – du moins pour les politiques et syndicalistes qui refusent le rôle de comparses d’un dialogue pipé.

  • 1. La Société ingouvernable. Une généalogie du libéralisme autoritaire, éditions La Fabrique, 2018.