Retour sur l'année 2018. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale d’un gouvernement qui s’illustre par ses attaques continues contre les classes populaires, peut à bon droit s’en présenter comme le « bon élève » au vu des résultats qu’il a obtenus en 2018.
Soucieux de plaire à un public conservateur, Blanquer multiplie les annonces réactionnaires sur l’école d’autrefois, où l’on « apprenait à lire, écrire, compter », tout en préparant activement, « en même temps », l’intégration du système public de l’éducation dans la sphère du marché sur le modèle étatsunien… en dépit des résultats catastrophiques de celui-ci en matière d’inégalité d’accès à l’éducation.
Tour de passe-passe budgétaire
Certes, conscient d’une forme d’attachement de la population au système scolaire actuel, perçu à tort ou à raison comme susceptible d’offrir à ses enfants un avenir meilleur ou au moins un travail décent, Blanquer avance voilé, avec parfois des discours et des dispositions en apparence progressistes, comme la décision du dédoublement de classes de CP au primaire. En réalité, ainsi que l’ont relevé de nombreuses critiques, ces dédoublements ont été faits en piochant parmi les instituteurEs « réservistes » ou en multipliant des fermetures de classes dans les zones rurales, ainsi que dans le secondaire (– 6 % de postes, – 9 % dans le cas des lycées pro).
Ces suppressions massives de postes d’enseignantEs permettent à la fois de réaliser des économies – un but avoué des réformes en cours – mais confirment aussi certains des aspects les plus alarmants du projet de réforme des lycées pros, pour les élèves comme pour les personnels.
Le grand chamboule-tout des lycées
Dans ce nouveau système, les lycéenEs du pro, majoritairement issus des milieux populaires, verront leur formation professionnelle réduite à deux ans, tout en étant massivement privés d’heures d’enseignement généraliste (mathématiques, français, histoire, langues, etc.). À la place, des séances d’orientation et d’initiation à l’entreprise… dont on devine sans peine de par leur contenu qu’elles préfigureront surtout les formations Pôle emploi.
Car l’enseignement professionnel, sérieusement appauvri, doit également être couplé à l’avenir avec les Centres de formation pour apprentis (CFA) dont le gouvernement a autorisé l’an dernier la multiplication sous le contrôle des chambres de commerce. L’apprentissage, dans l’esprit de la réforme, deviendra le débouché naturel de la voie pro, les LEP étant destinés alors à accueillir celles et ceux qui ne trouveront pas de contrats d’apprentissage.
Les élèves du lycée général ne seront guère plus épargnés. L’an dernier déjà, de vives protestations avaient émergé un peu partout contre la mise en place de Parcoursup, plateforme supposée répartir les bachelierEs dans les différentes branches des études supérieures. Elle a surtout permis de généraliser la sélection à l’université et donc mis fin de facto au droit aux études supérieures. Les principales victimes ont été les dizaines de milliers de lycéenEs, la plupart du temps issus des lycées populaires de banlieue ou des zones rurales, écartés arbitrairement de leur choix d’études ou même du supérieur tout court.
La mise en place de Parcoursup trouve son correspondant direct dans l’actuelle réforme du lycée. La suppression des filières classiques (S, ES, L) au nom de la « liberté pédagogique » des élèves qui doivent choisir des « spécialités » par eux-mêmes, fonctionne comme un véritable piège, comme le montre l’exemple des mathématiques. Les spécialités maths n’étant plus obligatoires en première et terminale, et leur niveau étant nettement relevé, beaucoup d’élèves risquent de s’en détourner. Or, c’est une des principales exigences dans la quasi-totalité des filières universitaires longues…
De plus, tous les lycées ne disposeront pas du même « pool » de spécialisations. Certains seront plus richement dotés que d’autres. Ainsi, le choix du lycée pour les collégienEs correspondra en réalité à une orientation post-bac. Une méthode qui ne peut profiter qu’aux familles aisées, qui seules ont les moyens de décrypter de tels choix.
Manager les profs
De surcroît, les réformes en cours auront l’avantage pour le ministère de pouvoir restructurer en profondeur l’organisation du travail des enseignantEs et, partant, d’augmenter leur charge de travail… L’augmentation des heures sup’ obligatoires et la baisse continue du nombre de postes ouverts aux concours (remplacés par des contractuelEs) est une indication. L’instauration d’une culture de la « performance », la création de « pôles d’excellence », dans le supérieur comme le secondaire, les « rendez-vous de carrière » avec les chefs, les primes au mérite, ou l’introduction de DRH de proximité, sont les autres jalons visant à transformer l’Éducation nationale en une entreprise comme les autres.
Cette culture managériale qui s’inspire ouvertement de celle mise en place dans les années 2000 aux États-Unis est plus qu’inquiétante, puisqu’elle aura comme effet immédiat de sanctionner les établissements les plus faibles (dont les élèves, sans surprise, seront issus des milieux défavorisés) et de récompenser les établissements déjà les mieux dotés.
Faire taire la contestation
Face aux mouvements de protestation qui ont éclaté contre ces mesures, le ministère cherche à restreindre la liberté d’expression des fonctionnaires en étendant et en durcissant considérablement le fameux « devoir de réserve ». Celui-ci est de plus en plus utilisé par la hiérarchie comme une façon de brider la liberté d’expression et le droit de grève. Ainsi, le rectorat de Marseille, au moment où les manifestations lycéennes battaient leur plein, a demandé aux chefs d’établissement « d’interdire les réunions communes aux enseignants, élèves et parents d’élèves », afin de « rester maître des messages construits à l’intérieur » de l’institution scolaire. À Dijon, une enseignante a été sanctionnée par le rectorat au nom du « devoir de réserve »… pour avoir dénoncé sur Twitter la politique du gouvernement.
En revanche, le gouvernement a fait, lui, montre d’un sens de la réserve des plus limité en envoyant systématiquement la police réprimer brutalement les lycéenEs qui entreprenaient de bloquer leur établissement pour protester contre les réformes. Outre les provocations policières habituelles, visant à transformer les blocus et manifestations en émeutes urbaines, des centaines de lycéenEs ont écopé d’arrestations, pour des faits parfois dérisoires, comme ces 6 lycéenEs d’Ivry restés 36 heures en garde-à-vue pour avoir tagué, sur le mur de leur lycée, « Macron démission ».
L’ampleur de cette répression permet aussi de mesurer l’inquiétude du gouvernement face à un possible mouvement des lycéenEs… qui auraient toutes les raisons de se révolter.
Étienne Bridel