Avec des suppressions massives d’emplois, Sarkozy et son ministre Darcos infligent à l’école un ensemble cohérent de contre-réformes touchant tous les secteurs, de la maternelle à l’université.
Alors que la volonté affichée par le ministre de l’Éducation nationale, Xavier Darcos, est de « diviser l’échec scolaire par trois », le budget 2009 prévoit la suppression de 3 000 des 8 000 postes de Rased, les maîtres spécialisés pour l’aide aux élèves en difficulté (lire l’encadré). Pour faire des économies, cela revient à priver 150 000 enfants de la possibilité d’être aidé.
Les mesures Darcos se traduisent aussi, en primaire, par une diminution de la qualité des programmes. De nombreux aspects culturels ne font plus partie du socle commun et on le remplace par un socle minimum de connaissances restreint à la lecture, l’écriture, le calcul et l’apprentissage d’une langue vivante. On retrouve cette notion de socle minimum à tous les niveaux d’enseignement, avec l’individualisation des parcours au collège, la destruction des filières au lycée, la mise en place du lycée à la carte et la loi sur l’autonomie des universités.
Austérité tous azimuts
Tout en diminuant le nombre de postes ouverts au concours (diminution de 40 % prévue cette année), l’Éducation nationale embauche de nombreux enseignants précaires (CDD, etc.). Sur l’académie de Créteil, par exemple, 300 contractuels supplémentaires ont été embauchés cette année pour pallier les suppressions de postes de l’année dernière.
Au cours d’une discussion sur l’âge d’entrée en maternelle, Darcos s’est demandé s’il était nécessaire de recruter des professeurs au niveau bac+5 en école maternelle pour changer des couches1. Ces provocations sont loin d’être anodines, elles préparent à l’idée que les personnels recrutés en école maternelle ne seraient pas obligatoirement des personnels enseignants ayant le statut de la fonction publique d’État, mais des personnels recrutés dans le cadre des communes, par l’ANPE.
Plutôt que de prévoir un budget à la hauteur des besoins, Darcos préfère encourager l’implantation d’établissements scolaires privés dans les ZEP2, une nouvelle manière de détruire l’enseignement public au profit de l’enseignement privé.
Le gouvernement cherche également à introduire une gestion managériale de l’éducation. Avec les établissements publics d’enseignement primaire (Epep), pour lesquels un projet de loi devrait être discuté au Parlement au début de l’année 2009, les écoles deviendront des établissements avec un conseil d’administration dans lequel le maire de la commune aurait voix prépondérante et droit de regard sur la pédagogie mise en place. Dans les collèges et lycées, risque de se mettre en place un recrutement de tous les personnels par les principaux et les proviseurs, le salaire au mérite, etc.
L’aspect le plus emblématique de la politique du gouvernement est la suppression de postes. 11 200 postes ont été supprimés en 2008 et 13 500 en 2009. Mais le plus dur reste à venir car il s’agit de supprimer 80 000 postes en cinq ans. Ces suppressions de postes entraînent la fermeture de classes, en grande partie en maternelle. Du coup, la scolarisation des 2-3 ans a chuté de 27 % entre 2000 et 2007. Même après l’âge de 3 ans, des enfants restent à la porte de l’école faute de places (plus de 600 en juin 2005). Selon un rapport sénatorial, paru le 4 novembre, les enfants âgés de 2 à 3 ans devraient être accueillis en jardin d’éveil, par des personnels non enseignants. Cette nouvelle structure serait à mi-chemin entre la crèche et l’école maternelle. Autant dire que c’est la fin de la scolarisation des enfants de 2-3 ans.
Toute cette politique s’accompagne d’une dégradation des salaires des enseignants, qui augmentent nettement moins vite que l’inflation et, lorsque Darcos parle de revaloriser les salaires, il ne parle que des nouveaux enseignants.
Une école à l’ancienne
Certaines contre-réformes sont avant tout idéologiques et correspondent à une vision réactionnaire du monde. La mise en cause de l’école maternelle est ainsi justifiée par le fait que les petits doivent être auprès de leur mère.
Le gouvernement revient aussi sur la mixité. Ainsi, l’article 2 d’une loi du 15 mai 2008 visant à « lutter contre les discriminations » autorise une régression majeure quant à l’égalité filles-garçons, par « l’organisation d’enseignements par regroupement des élèves en fonction de leur sexe ».
Les nouveaux programmes en primaire sont une autre illustration de cet aspect idéologique. Ils sont uniquement centrés sur les « fondamentaux ». La culture scientifique et humaniste est réservée à ceux qui peuvent, les jeunes des couches sociales aisées. La sélection au mérite, la généralisation des bourses au mérite et la discrimination positive repose sur l’idée de la réussite individuelle. Cela nie complètement les différences sociales et culturelles entre les élèves et, dans les faits, seuls ceux qui ont déjà le capital culturel pourront s’en sortir.
Enfin, un des aspects de ces réformes est d’arriver à casser la poche de résistance que sont les enseignants. C’est la raison d’être du service minimum d’accueil (SMA) ou des procès contre les enseignants que l’on voit fleurir, comme ceux intentés à Rodolphe Juge, en septembre, ou à Sami Benmeziane, instituteur en Loire-Atlantique.
Aller vers une grève reconductible
Les luttes, depuis la rentrée, ont commencé de manière dispersée et chaotique. Le 7 octobre, dans le second degré, un enseignant sur trois était en grève et, chez les instituteurs, les taux de grève allaient de 20 % à 55 %, alors qu’un département sur trois appelait à la grève. Le 16 octobre, près de 60 % d’instituteurs étaient en grève à Paris et, le dimanche 19 octobre, 80 000 personnes manifestaient à Paris. Localement, de plus en plus d’écoles refusent d’appliquer les contre-réformes Darcos.
On voit bien qu’il faut un mouvement d’ensemble, de tous les personnels, des lycéens, des étudiants et des parents d’élèves, pour arriver à gagner. Il faut se battre pour une autre école. Il faut exiger, dans un premier temps, l’arrêt des contre-réformes Darcos (celle du primaire, celle des lycées ainsi que celle de la formation des professeurs consistant à organiser les concours au niveau master bac+5 au lieu de bac+3 actuellement). Il faut imposer l’arrêt des suppressions de postes, la titularisation des précaires et l’embauche de 80 000 nouveaux enseignants. Il faut une revalorisation des salaires.
C’est par une grève massive, reconductible, qu’on arrivera à faire céder ce gouvernement, c’est dans cette optique qu’il faut agir dans les jours qui viennent.
La grève du 20 novembre doit permettre à tous les personnels, du primaire et du secondaire, de se retrouver ensemble dans la rue. Cette journée ne doit pas être une nouvelle édition des grèves de 24 heures. Il nous faut une date la semaine suivante, et il faut maintenant se poser la question de la grève reconductible. Cela veut dire se battre dans toutes les structures pour poser la question de la grève reconductible aux assemblées générales des personnels en lutte. Le but doit être d’arriver à une grève massive pour le mois de décembre. Il faudra sans doute affronter les directions syndicales, qui auront plus à l’esprit les élections professionnelles et le retour aux négociations. C’est pourquoi il faut développer des cadres d’auto-organisation.
Les « tours de chauffe » du mois d’octobre montrent qu’il y a une réelle disponibilité à la lutte des personnels de l’Éducation nationale. C’est le moment d’y aller, d’entraîner les jeunes et les parents pour gagner face aux contre-réformes de ce gouvernement.
Notes
1. Le 3 juillet 2008, Darcos a déclaré : « Est-ce qu’il est vraiment logique, alors que nous sommes si soucieux de la bonne utilisation des crédits délégués par l’État, que nous fassions passer des concours bac+5 à des personnes dont la fonction va être essentiellement de faire faire des siestes à des enfants ou de leur changer les couches ? »
2. Interview donnée à L’Express, le 22 novembre 2007
Projecteurs sur :
A) La contre-réforme des lycées
La contre-réforme des lycées vise à casser les filières (S, L, ES, STI, STG, etc.) et les remplacer par des « modules », au choix des élèves. Mais il ne s’agira pas d’un vrai choix. Chaque module aura une couleur (scientifique, humanité, sciences de la société ou technologie). Ainsi, pour avoir un baccalauréat scientifique, il faudra avoir un certain nombre de modules scientifiques. Cela va entraîner une course aux options pour s’assurer d’avoir le bac que l’on veut, et donc une diminution de la part des connaissances générales. Le risque est la disparition de certaines disciplines, en histoire, géographie, sciences physiques, sciences de la vie et de la terre, sciences économiques et sociales, etc. Ces modules ne seront plus organisés sur l’année, mais sur un semestre, ce qui entraînera une diminution des contenus. Pour les enseignants, cela risque de s’accompagner d’une annualisation du temps de travail et, sans doute, d’une flexibilité des horaires.
Darcos veut mettre ainsi en place un lycée « à la carte », où chaque élèves aurait un parcours propre. Mais, avec l’augmentation du nombre d’élève par classe, un enseignant n’aura pas le temps de s’occuper de chaque élèves. Il faudra se limiter au « socle commun » pour tous et seuls les élèves sans difficultés pourront acquérir plus de connaissances.
Même si Darcos dit qu’il ne touchera pas au bac, l’organisation de parcours totalement individualisés débouchera forcément sur une individualisation du baccalauréat, l’augmentation du contrôle continu et la diminution du poids de l’examen final. On institutionnalise l’inégalité des élèves devant le bac.
B) Les RASED
Le Réseau d’aide spécialisé pour les élèves en difficultés (Rased) et, avant eux, les Groupes d’aide psychopédagogique (Gapp) sont des structures de l’Éducation nationale, composées d’enseignants ayant reçu une formation spécialisée pour travailler à l’école, comme psychologues scolaires, rééducateurs, remédiateurs pédagogiques.
Sans bilan préalable ni concertation, le gouvernement vient d’annoncer la suppression, étalée sur trois ans, de ce dispositif. Ainsi, 3 000 postes (sur 8 000) du Rased vont disparaître dès la rentrée 2009.
L’argument ministériel est que le travail des Rased n’a pas fait disparaître les 15 % d’élèves en échec scolaire, et il propose à la place des aides personnalisées aux élèves en difficulté hors temps de classe ainsi que des stages de remise à niveau pendant les congés scolaires, dispensés par les enseignants de classes, remplaçant les Rased.
Cette politique est scandaleuse. Elle joue sur la confusion entre difficultés passagères et difficultés lourdes, et sur l’angoisse des parents face à la scolarité de leurs enfants.
Derrière cet immense gâchis humain pour les élèves (et pour les enseignants spécialisés qui perdent leur qualification, et ceux des classes qui restent seuls à gérer l’échec scolaire) se cache une politique de restriction budgétaire sans précédent (les 3 000 postes supprimés sont réaffectés sur des postes ordinaires), l’impossibilité pour l’école de remplir son rôle réellement démocratique (où chaque enfant a le droit de réussir), le démantèlement du service public de l’Éducation nationale.
De nombreuses voix s’élèvent pour le maintien des Rased. Rassemblements, manifestations, motions dans les conseils d’école et les conseils municipaux se multiplient. Une pétition, « Sauvons les Rased », est en ligne (
) et a recueilli 150 000 signatures à ce jour.