Pour faire plier le gouvernement sur la contre-réforme des retraites et contre sa politique raciste et sécuritaire, une seule solution : se mobiliser par millions et préparer la grève générale. Dans la campagne unitaire pour conserver la retraite à 60 ans, il y a beaucoup du rapport de forces global entre les classes qui est un train de se jouer. La situation dans quelques semaines ne sera pas la même si Sarkozy fait passer la réforme ou si, au contraire, le mouvement ouvrier réussit à la stopper. L’impopularité de la réforme – qui est certaine – ne sera pas suffisante pour la stopper parce qu’on est tous confrontés au même problème : un certain recul des luttes, un certain reflux social, un certain ressac des mobilisations sociales. Depuis deux ou trois ans, peu de luttes ont été victorieuses. C’est lié à une stratégie d’éparpillement des luttes qui n’a que trop duré. C’est aussi lié à l’impact immédiat de la crise économique sur les consciences. Cette crise économique qui a débuté, il y a maintenant deux ans, est une crise de grande envergure. Quand on regarde l’histoire du capitalisme, on sait que lors de ce type de crise, le premier réflexe dans les couches populaires, n’est pas d’abord celui de la solidarité, pas d’abord celui de la révolte collective. C’est malheureusement trop souvent, la débrouille, le chacun pour soi, l’individualisme, la jalousie. On regarde les acquis sociaux du voisin en pensant que ce sont des privilèges, voire pire. Et les employeurs, dans le public comme dans le privé, nous disent : « t’es pas heureux, tu peux prendre la porte, parce que plein de gens veulent ta place, veulent bosser ». Alors ce n’est pas le moment de l’ouvrir, de revendiquer, et on sait que cela pèse sur les consciences. La révolte comme antidoteLa révolte solidaire est l’antidote à la crise économique, mais c’est un antidote qui produit souvent ses effets à rebours, en différé, une fois dépassées les illusions du chacun pour soi. Après la crise de 1929, par exemple, et avant les grèves de 1934 et la grande grève de 1936 avec le Front populaire, il y a eu aussi 1933 en Allemagne et l’ascension du nazisme. Toutes proportions gardées, ces deux éléments sont présents dans la situation politique actuelle. Cela renforce le rôle du mouvement ouvrier, des organisations, de façon unitaire, le rôle des militants, ceux qui a priori sont un peu plus conscients de certaines choses. Et notre rôle est de brusquer le temps, d’accélérer les effets de cet antidote pour que cela aille plus vite et que cela se produise sur la question des retraites : nous devons agir collectivement là où nous pouvons peser. La première chose que l’on peut faire, c’est renforcer notre camp en s’appuyant sur la dynamique de ce qui a déjà été réalisé ces derniers mois. Parce qu’il y a une attente extraordinaire et souvent sous-estimée dans les équipes militantes. Quels que soient les syndicats et les partis, il faut que cette campagne unitaire ait lieu. Quels que soient les désaccords politiques à gauche, on peut marcher séparément et frapper ensemble sur une question aussi essentielle que celle des retraites qui touche à l’héritage du mouvement ouvrier, pour défendre la retraite à 60 ans, à taux plein. La deuxième chose est que l’on peut aussi affaiblir le camp d’en face, car la crise économique percute tout le monde. Même les classes possédantes, même les capitalistes. Certains à droite se disent que Sarkozy n’est pas forcément la bonne réponse de droite pour sortir de la crise. La fuite en avant nauséabonde, raciste, sécuritaire, écœurante à laquelle on a eu droit cet été, outre qu’elle est révoltante, consiste à essayer de faire oublier les problèmes politiques, économiques et judiciaires du gouvernement. Ce n’est pas la marque d’un gouvernement fort mais bien plutôt celle d’un gouvernement aux abois. Il y a des dissensions potentielles dans les classes possédantes qu’il faut savoir exploiter pour remporter des victoires. On peut se dire que dans les semaines à venir, à n’importe quel moment la crise sociale peut se transformer en crise politique, voire en une crise de régime.Quand on a commencé la campagne unitaire, on était bien loin de se douter que la campagne sur les retraites allait trouver ce curieux sponsor qu’est L’Oréal, à travers l’affaire Woerth-Bettencourt.Woerth est soi-disant un homme d’honneur. Et il l’est à ce point qu’il le distribue en légions à ceux qui lui rendent des petits services, le gestionnaire de la fortune Bettencourt qui embauche sa femme, le comptable qui s’est occupé de la campagne municipale et de son micro-parti. Mais dans quelques jours, il devra expliquer à tous que les temps sont durs et qu’il faut se serrer la ceinture. Il est probable qu’en l’entendant, des centaines de milliers de personnes auront envie d’aller manifester. Nous pouvons donc affaiblir le camp d’en face, mais à condition que la gauche sociale et politique, le camp du mouvement ouvrier ne tremble pas à la veille de la rentrée et que sa partie la plus libérale ne nous refasse pas le coup du discours alterné qui dit retraite à 60 ans puis, il faut peut-être travailler plus longtemps. La gauche doit avoir du cran pour réclamer non pas la réécriture mais le retrait, l’abrogation du projet de loi Woerth-Sarkozy, parce que pour le moment ce n’est qu’un projet de loi. Dans cette campagne, on a décidé de donner des explications mais aussi de tracer des perspectives. Si la réforme n’est pas populaire, la bataille de l’opinion n’est quand même pas gagnée d’avance. On voit défiler dans les médias des commentateurs, des analystes, des experts, des économistes qui nous expliquent que les caisses de la Sécurité sociale sont vides, sans jamais nous parler des 32 milliards d’euros d’exonération de cotisations sociales qui vont aux gros groupes industriels capitalistes pour, paraît-il, créer de l’emploi. Ils nous envoient des experts pour expliquer qu’il faut travailler plus longtemps parce qu’on vit plus longtemps. Comme si ça ne pouvait pas être une chance extraordinaire de vivre plus longtemps si on a un système de protection sociale qui nous permet d’avoir du temps libéré de l’exploitation après une dure vie de labeur. Et puis, il y a les experts qu’on ne voit jamais. Ceux qui, par exemple, pourraient nous dire que si la population a vieilli depuis trente ans, les travailleurs sont aussi beaucoup plus productifs. Au quotidien, cela signifie que le taux de productivité horaire a augmenté de 70 % ! Mais la productivité est partie dans les profits et ces derniers n’ont pas servi à l’emploi mais à verser des dividendes encore plus importants aux actionnaires. Répartition des richessesLa question centrale est donc bien celle de la répartition des richesses. Le Conseil d’orientation des retraites cherche 3 % du PIB, 3 % des richesses annuelles pour financer un système des retraites qui est paraît-il aux abois. 3 %, ce n’est rien par rapport aux 17 % qui partent chaque année sous forme de profits accaparés par une minorité qui, elle, ne connaît pas vraiment la crise. On pourrait aussi nous envoyer des experts pour tirer le vrai bilan des réformes successives, puisque depuis 1993, on n’arrête pas d’augmenter le nombre d’annuités nécessaires. La réalité c’est qu’il y a une toute petite minorité des salariés qui arrivent à faire les 37,5 annuités qu’ils devaient effectuer avant la réforme Balladur, à cause du chômage, des licenciements, des préretraites, des maladies professionnelles. La seule conséquence des réformes est la baisse de 15 à 20 % du montant des pensions. C’est l’objectif de cette réforme et c’est ce que nous devons expliquer. Et puis, il suffirait d’un commentateur qui ait un peu de mémoire pour rappeler que Sarkozy était le candidat du plein emploi alors qu’il y a entre 4 et 5 millions de chômeurs dans ce pays. Si on avait à la place 4 ou 5 millions de travailleurs à temps plein, cela ferait aussi 4 ou 5 millions de cotisants à temps plein... et les caisses de la Sécurité sociale seraient pleines. Et si en plus on augmentait les salaires, ce qui serait une mesure de salubrité publique, les caisses seraient pleines à craquer. Cela veut dire que si plutôt que de nous demander de travailler plus longtemps, on nous demandait de travailler moins, tout le monde aurait un emploi. Et personne ne parlerait du problème des retraites. Cela s’appelle le partage du temps de travail. Donner des explications ne suffit pas. Il y a un problème de confiance collective. Steve Biko, une grande figure de la lutte contre l’apartheid, mort dans les geôles racistes d’Afrique du Sud, avait une belle formule : « La meilleure arme entre les mains des oppresseurs, c’est la mentalité des opprimés », c’est-à-dire nos mentalités, nos problèmes de confiance, de conscience. Notre responsabilité est donc d’essayer d’expliquer comment on peut gagner. Essayer de tracer des perspectives sociales et politiques. Sociales, parce qu’on n’est plus dans l’expectative. Le gouvernement nous a fait une vraie déclaration de guerre sociale, avec un lieu, une date, avec le vote à l’Assemblée et au Sénat. C’est en septembre, c’est en octobre et on ne va pas les en empêcher en les amadouant ou en les menaçant. On ne pourra les en empêcher que si on est capable d’établir un rapport de forces supérieur au leur. Si on est capable de créer ensemble un pouvoir supérieur au leur. Il y a dans ce pays une tradition de lutte et de résistance qui fait que la rue a un pouvoir. Elle en a eu en 1995 contre le plan Juppé, elle en a eu pendant le CPE. On nous demande toujours si la rentrée sera chaude. Ce qu’on sait, c’est qu’elle aura lieu à l’heure, qu’elle commence tôt. Et qu’elle est globale. Pour nous la manifestation du 4 contre la politique raciste et sécuritaire du gouvernement et la première grande grève du 7 contre la réforme Woerth-Sarkozy, c’est la même et seule rentrée sociale et politique qui s’oppose à une politique libérale et qui veut taper. Encore faut-il qu’elle dure le temps nécessaire. Les mobilisations saute-moutons, cela ne marchera pas. Il faudra une suite rapprochée, faite de mobilisations prolongées, de grèves, de manifestations, d’un mouvement d’ensemble et d’une grève générale. L’abrogation de cette réforme ne doit pas être une énième promesse électorale pour 2012 car ce serait prendre le problème à l’envers : l’issue des retraites ne se joue pas en 2012 mais, en revanche, beaucoup de l’issue de 2012 se joue dans la bataille des retraites.
C’est maintenant qu’il faut affaiblir le gouvernement et la droite. Il faut également des perspectives politiques. On a aujourd’hui une droite dure qui s’assume : Sarkozy, c’est le régime des plus riches, fait par les riches pour les riches, c’est le régime de la peur qui joue sur les peurs. Il faut donc aussi une gauche qui s’assume. Une gauche qui parle de lutte de classe, d’émancipation, qui s’adresse au prolétariat du xxie siècle, qui ne parle pas d’augmenter le pouvoir d’achat mais d’augmenter les salaires, qui ne parle pas de régulation mais de taxer les profits, qui ne parle pas d’humaniser la politique d’immigration mais d’égalité intégrale des droits, de régularisation de tous les sans-papiers. Une gauche, une autre gauche, celle de l’alternative qui parle aussi de projet de société. Le régime de la peur et des plus riches, on veut le renverser, pour mettre à la place un nouveau mode de production et de consommation qui soit rationnel, respectueux de l’environnement, égalitaire, où les richesses seraient partagées entre toutes et tous, contrôlées et réappropriées par toutes et tous, car la mise en cause de la propriété est essentielle. Dans l’héritage du mouvement ouvrier, il y a aussi les héritages politiques.Blanqui disait : « Notre projet ne serait qu’un mensonge s’il devait n’être que la substitution d’une forme de gouvernement à une autre. Il ne suffit pas de changer les mots, il faut changer les choses. Notre projet, c’est l’émancipation des travailleurs, c’est la fin du régime de l’exploitation et l’avènement d’un ordre nouveau qui affranchira le travail de la tyrannie du capital. » Nous devons gagner la bataille sur les retraites, nous ne voulons pas être la génération qui a perdu les retraites. Olivier Besancenot (intervention au meeting unitaire sur les retraites, à Port-Leucate, le 27 août).