Publié le Samedi 2 mai 2020 à 19h18.

L’extrême droite et le Covid-19 : jour d’après et idées d’avant

En ces temps d’épidémie et de confinement, l’extrême droite tente, à son habitude, de surfer sur les légitimes craintes et préoccupations des classes populaires. 

N’imaginons pas que les extrêmes droites se réjouissent de la période que nous vivons. L’épidémie de Covid-19 frappe sans discernement. La maladie a emporté Xavier Dor, farouche militant anti-IVG obnubilé par le complot maçonnique. Elle a aussi durement touché Christian Bouchet, figure du nationalisme-révolutionnaire ainsi que le théoricien du « Grand Remplacement » Renaud Camus.

Sécuritaire et localisme 

L’état de confinement n’est peut-être pas pour déplaire : une période d’état d’urgence relativement consentie par la population offre des perspectives engageantes pour toutes les droites extrêmes. Contrairement au Brésil ou aux États-Unis, les critiques du confinement sont faibles chez les nationalistes français. Voire, avec le repli sur la cellule familiale, ce temps suspendu permettrait de renouer avec une certaine « spiritualité ». Des royalistes aux identitaires, les conseils pullulent pour se forger un esprit sain dans un corps sain, en attendant la vie d’après. 

Les débats sur l’origine du virus restent cantonnés à quelques complotistes invétérés. Tout en laissant la porte ouverte au doute, Marine Le Pen tranchait : « L’origine du virus n’a aucune influence sur ce que nous sommes en train de vivre ». Les extrêmes droites s’accordent : c’est la gestion « idéologique » de notre société par « les élites mondialisées » qui a mené la France à l’impuissance face à la crise sanitaire. Dans son ambition de réarmement idéologique, le RN privilégie deux axes : la question sécuritaire qui, rien de nouveau, recouvre l’immigration et l’islam, et la question économique, qui pourrait être résumée par la notion de localisme. La situation est censée valider leur analyse des maux de nos sociétés. Un boulevard s’ouvre-t-il devant le RN ?

« France périphérique » contre « non-France »

Lorsque le RN intervient sur d’autres terrains que la sécurité et l’immigration, ce n’est jamais une mise en suspens de sa logique xénophobe. La synthèse entre national et social est au cœur des projets d’extrême droite. La manœuvre pour monter la « France périphérique » contre la « non-France » des banlieues résonne en contexte post-Gilets jaunes. Les affinités transclasses, entre ouvrierEs, employéEs et petitEs entrepreneurEs, sensibles sur les ronds-points, font écho à la vision d’une France apaisée par la collaboration de classe. La fable d’un capitalisme « franco-français » assurant l’intérêt de toutes et tous, grâce à une « morale commune », offre une perspective plus rassurante que la lutte de classes.

La proposition immédiate du RN pour éviter la crise économique consiste en une demande d’aides directes aux entreprises de moins de 1000 salariéEs. À plus long terme, le RN fait le « choix souverainiste » d’un « État-stratège » pour que la France redevienne « une grande puissance économique ». Lors de l’Université d’été du RN en septembre 2019, Marine Le Pen proposait de faire des territoires ruraux en difficulté des zones franches avec des incitations fiscales pour les entrepreneurs. Elle insistait sur deux principes, dé-métropolisation et localisme. Ces mesures visent à satisfaire sa base sociale, une partie importante de son électorat travaille dans ces PME quand une part significative des candidats RN les dirige. Sur le plan idéologique, on retrouve ici l’influence du député européen Hervé Juvin. Il cherche à « réconcilier l’écologie avec la nation » et « préserver l’harmonie et la paix de la société française » en se protégeant du « capital nomade » et de « l’idéologie immigrationniste ».

« Révolution de la proximité »

Quelques mois après la naissance des Gilets jaunes, le RN mettait l’accent sur le localisme pour sa campagne des élections européennes. Mais à part quelques exceptions, l’argument localiste, moins payant que la sécurité et la baisse de fiscalité, a été peu repris pour les municipales. Les réflexions sur « l’après » pourraient lui offrir une nouvelle opportunité. Pour ce faire, le RN a besoin de gagner en sérieux. Valeurs actuelles puis Présent saluent le fait que Marine Le Pen aurait « eu raison avant les autres » : fermeture des frontières, pénurie de masques, demande d’un confinement massif, besoin d’un dépistage généralisé...

Il ne faut pas prendre à la légère ses éléments de langage, présentés comme un renouvellement d’une pensée politique. D’abord parce que le localisme permet de faire le lien avec des préoccupations identitaires (« Les nations sont des éco-systèmes humains qu’il nous faut protéger »). Ensuite parce qu’il prétend offrir des perspectives de rupture avec l’ordre établi et de changements éthiques pour une nouvelles « civilisation écologique ». Présenté comme une « révolution de la proximité », le projet du RN cherche à répondre à des préoccupations légitimes, entendues notamment chez les Gilets jaunes. En l’absence de réponses claires, basées sur un anticapitalisme conséquent, les notions plus ou moins ambigües de « frontière », « protectionnisme », « relocalisation », utilisées à dessein par les extrêmes droites, risquent d’apporter un peu plus à la confusion ambiante. Cette confusion pourrait être d’autant plus grande que les partis de gouvernement reprennent le même type d’expressions et leur donnent une légitimité. Le RN pourrait jouer le coup du « l’original à la copie » en mettant l’accent sur sa posture de rupture.