Depuis la remise du rapport Spinetta, le matraquage idéologique en faveur de la « réforme » de la SNCF est d’une violence toute particulière. Dans les grands médias, une quasi-unanimité se dégage, qui présente la « réforme » comme nécessaire et inéluctable, qui stigmatise les cheminotEs comme des « privilégiés » ou des « irresponsables », et qui donne largement la parole à des « experts » ultra-libéraux spécialistes de la chasse au syndicaliste. Revue de détail, qui repose sur le précieux travail fourni par l’observatoire des médias Acrimed, dont la série d’articles (en cours) sur la SNCF est aussi riche qu’elle est révoltante (voir les liens en fin d'article).
C'est devenu une (mauvaise) habitude : chaque nouvelle « réforme » libérale est accompagnée d’un chœur médiatique, entonné notamment par des éditorialistes (interchangeables) et des « experts » (autoproclamés), présentant ladite réforme comme « inéluctable ».
« Une situation que nul ne peut plus ignorer »
En témoigne l’éditorial du Monde du 18 février, modèle de la rhétorique de l’inéluctabilité de la « réforme ». À propos du rapport Spinetta, le quotidien du soir nous apprend ainsi que « le document remis le 15 février par l’ex-patron d’Air France au Premier ministre décrit avec lucidité une situation que nul ne peut plus ignorer, celle d’un système ferroviaire à bout de souffle, maintenu sous oxygène par un État qui n’en a décemment plus les moyens. » Quels « ignorants » pourraient en effet s’opposer à la « décence » et à la « lucidité » ? Pas le Monde, qui encourage d’ailleurs Emmanuel Macron à ne pas tergiverser quant à sa volonté de « réformer », sans « reculer devant de probables mouvements sociaux » : « C’est un pari risqué, mais s’il n’est pas tenté, c’est notre système ferroviaire qui pourrait être le grand perdant. »
Le Monde, à l’instar de bien d’autres de ses confrères, nous chante un air bien connu : il ne faut pas verser dans « l’idéologie » mais faire preuve de « réalisme ». Comme le disait Margaret Thatcher en son temps, et avec des mots à peine différents, « il n’y a pas d’alternative ». Le 19 février sur LCI, la journaliste Marie-Aline Méliyi ne fait pas autre chose lorsqu’elle pose la question suivante à ses invités : « Sur le constat, est-ce que vous êtes tous d’accord pour dire que l’entreprise est au bord du gouffre, raison de plus pour tout transformer, ou au contraire est-ce qu’il ne faut rien changer ? » La manœuvre est grossière, mais l’effet recherché est atteint : les opposantEs à la « réforme » sont en réalité des conservateurs, qui ne veulent rien changer, alors que ses partisans sont conscients des problèmes, et veulent aller de l’avant.
L’expert et le syndicaliste
Ce décor étant planté, les « experts » convoqués sur les plateaux de télévision et sur les radios peuvent s’en donner à cœur joie. Ils sont du bon côté de l’histoire, pensent à l’intérêt de touTEs et non aux « privilèges » de quelques-unEs, et ont donc toute latitude pour développer des « analyses » qui, sous couvert de neutralité experte, sont en réalité de véritables déclarations de guerre contre les salariéEs et les usagerEs de la SNCF et, plus globalement, contre le service public ferroviaire. À leur côté, des éditorialistes qui, dans leur très grande majorité, n’en pensent pas moins, et parfois un syndicaliste de la SNCF qui se retrouve, sur des plateaux totalement déséquilibrés, sous le feu des attaques des « réformateurs ».
Acrimed a ainsi réalisé un décompte éloquent, à propos de l’émission « L’heure des pros » diffusée sur C-News le 20 février : Fabien Dumas, secrétaire fédéral Sud-rail, a été interrompu à 66 reprises en moins de 8 minutes d’intervention (soit en moyenne une fois toutes les 7 secondes), lors d’un plateau où 5 des 6 autres intervenants lui étaient hostiles. Avec de surcroît un Pascal Praud, présentateur de l’émission, au meilleur de sa forme : « Pourquoi, à ce point-là, il y a crispation ? Et c’est là que je dis, est-ce que ce n’est pas un business des syndicats, en l’occurrence la CGT, Sud-rail, pour conserver un pouvoir ? » No comment.
À noter également la présentation, en toute objectivité, par David Pujadas, de son invité François de Closets le 26 février sur LCI : « François de Closets, vous êtes journaliste et essayiste et auteur de ce livre […] Toujours plus !, 1982, où vous dénonciez et listiez, François, ces petits ou grands privilèges, ces petits ou grands avantages, et où vous faisiez la liaison avec le pouvoir de nuisance de ceux qui en bénéficiaient, et où se trouvaient bien entendu les cheminots et leur statut si particulier. » Bien entendu.
« N’employez jamais le mot de preneur d’otages »
Si certains journalistes, y compris dans de grands médias, essaient de faire au mieux leur travail et de produire de l’information, en permettant par exemple aux salariéEs de la SNCF de réellement faire entendre leurs arguments, difficile de résister au rouleau compresseur qui s’est mis en action avant même qu’une journée de grève ait lieu. Il est d’autant plus impératif de dénoncer, dans nos médias, sur les réseaux sociaux, par voie de tracts, par des réunions publiques, les innombrables « fake news » diffusées ces dernières semaines. Mais aussi de mettre en avant, en les faisant circuler, ces quelques moments où certainEs invitéEs parviennent à faire dérailler la machine pro-réforme. En faisant entendre quelques vérités essentielles, comme lorsque notre camarade Olivier Besancenot a dénoncé le « poison de la division » lors de son intervention à « On n’est pas couchés » le 3 mars. Ou en fermant leur clapet à certains de ces insupportables experts et éditorialistes, à l’instar de ce qu’a fait Bruno Poncet, lui aussi secrétaire fédéral Sud-rail, face à un François de Closets qui affirmait qu’il se sentait « pris en otage » : « N’employez jamais le mot de preneur d’otages. […] Moi j’étais au Bataclan donc moi aujourd’hui les […] preneurs d’otages et [les] terroristes, je sais ce que c’est. Autour de cette table où on parle du statut des cheminots, je trouve que c’est un peu déplacé. » KO technique.
Julien Salingue
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Lire sur le site d'Acrimed la série d’articles consacrés à la « réforme de la SNCF » :
Réforme de la SNCF (1) : premiers tirs de barrage médiatiques
Réforme de la SNCF (2) : débats télévisés ou guets-apens pour syndicalistes ?
Réforme de la SNCF (3) : quand les « Grandes Gueules » s’en mêlent
Réforme de la SNCF (4) : les matinales radio à l’unisson contre la grève
(À suivre)