Publié le Mercredi 16 juin 2021 à 10h55.

Nul besoin d’inventer des complots pour comprendre le monde

Retour sur des déclarations du candidat de La France insoumise, qui rendent un bien mauvais service à notre camp.

« Vous verrez que dans la dernière semaine de la campagne présidentielle, nous aurons un grave incident ou un meurtre. Cela a été Merah en 2012. Cela a été l’attentat la dernière semaine [avant l’élection de 2017] sur les Champs-Élysées. Avant, on avait eu papy Voise dont plus personne n’a jamais entendu parler après. Tout ça, c’est écrit d’avance. Nous aurons le petit personnage sorti du chapeau. Nous aurons l’événement gravissime qui va une fois de plus permettre de montrer du doigt les musulmans et d’inventer une guerre civile. Voilà, c’est bateau tout ça. » Ainsi s’est exprimé Jean-Luc Mélenchon le dimanche 6 juin lors de l’émission « Questions politiques ».

Un indigeste mélange

Ce n’est pas parce que cette déclaration de Jean-Luc Mélenchon a été surexploitée par les réactionnaires de tout bord pour tirer à boulets rouges sur le candidat de La France insoumise que nous devons refuser de la commenter, et ce de manière (très !) critique. Car le moins que l’on puisse dire est qu’avec des propos de cet ordre, Jean-Luc Mélenchon a rendu un bien mauvais service aux idées progressistes et de transformation sociale, tant ils sont confus, pour ne pas dire confusionnistes, et participent de la diffusion d’une vision du monde dans laquelle les forces sociales et matérielles n’ont guère de place.

Jean-Luc Mélenchon a eu l’occasion, depuis cette sortie, de s’expliquer à plusieurs reprises, mais force est de constater qu’il n’a guère convaincu. Car il mélange en réalité deux choses qu’il convient de soigneusement distinguer : l’agenda de ceux qui peuvent profiter d’une période électorale pour commettre des violences et espérer « faire parler » d’eux et/ou de leur cause ; l’opportunisme de ceux qui, en pleine période électorale, exploitent sans vergogne des faits divers ou des tragédies pour mettre en avant leur agenda politique. Et n’en déplaise à Jean-Luc Mélenchon et à ceux qui ont entrepris de le défendre inconditionnellement, ses propos sont, au total, un indigeste mélange qui n’a guère à voir avec une analyse matérialiste et progressiste des rapports sociaux.

« Comprendre le monde pour le transformer »

Mettre sur le même plan les attentats commis par Merah et l’affaire « papy Voise », du nom de ce retraité agressé à Orléans trois jours avant la présidentielle de 2002, est ainsi non seulement indécent, mais totalement vide de sens, que ce soit du point de vue des motivations des acteurs ou de l’exposition médiatique des deux événements. S’il s’agissait « seulement » de dire que certains instrumentalisent des événements tragiques pour diffuser leur idéologie de haine, alors il fallait le dire. Mais ce n’est pas ce qu’a dit Jean-Luc Mélenchon, et c’est bien là qu’est le problème : dire « c’est écrit d’avance » ou parler du « petit personnage sorti du chapeau », c’est jouer sur un tout autre registre, et cela fait effectivement écho aux rhétoriques complotistes.

La confusion majeure réside en ceci que de tels propos donnent à penser que ceux qui exploitent faits divers et tragédies pourraient être soupçonnés de les avoir organisées. Un raisonnement du type « Chercher à qui le crime profite » qui est non seulement parfaitement erroné mais en outre particulièrement dangereux. C’est en effet, par exemple, autour de ce raisonnement qu’a été construit le « documentaire » complotiste Hold-up, sorti en novembre 2020, qui confond allègrement, d’une part, l’opportunisme de certains secteurs des classes dominantes, qui tentent de profiter d’une crise sanitaire bien réelle, et, d’autre part, un projet organisé visant à provoquer une crise sanitaire artificielle pour mettre en place un programme tenu secret.

Il importe de ne pas désarmer celles et ceux qui croient encore en la possibilité de se battre pour renverser un système injuste et violent : « Comprendre le monde pour le transformer » demeure l’un de nos mots d’ordre, et ce n’est pas en se laissant contaminer par le confusionnisme ambiant, qui sert en réalité les forces réactionnaires, que la gauche sociale et politique pourra contribuer à cette compréhension émancipatrice.