Publié le Samedi 11 février 2023 à 08h00.

Retraites : opposant de façade à la réforme, le RN n’a rien à faire dans les cortèges

Avec l’ouverture des séances à l’Assemblée nationale, le Rassemblement national (RN) va jouer au premier opposant à la contre-réforme des retraites. À coups de déclarations sur la « loi Macron-Mélenchon » et ses « idiots utiles », les députés du RN ne reculent déjà devant rien pour se faire les porte-voix de la « France qui travaille ».

Le RN a surtout en tête les présidentielles de 2027 et le profil « social » de sa candidate pour rafler la mise de la colère sociale déçue. Le RN a tout intérêt à l’adoption du projet Macron-Borne. D’ailleurs, il s’y attache : sans offrir de réel contre-projet favorable aux salariéEs, le groupe de Marine Le Pen ne donne aucun outil pour construire une opposition efficace. Cette évidence est de moins en moins ancrée à une échelle de masse. La mobilisation contre les retraites est une occasion déterminante à saisir pour établir la supercherie du discours social du RN et dévoiler son projet délétère.

Une motion référendaire… pour arrêter la grève

Pour appuyer son opposition, le RN dégaine la « souveraineté populaire » avec un projet de référendum. Sa motion référendaire choisie par tirage au sort est une aubaine. Le RN retourne un argument de Jean-Luc Mélenchon pour mettre « au défi les autres partis qui se disent d’opposition d’adopter la motion référendaire ». Voulant incarner le sérieux d’un parti de gouvernement, les députéEs du RN dénoncent « l’obstruction pure et simple » de la Nupes qui risquerait de « priver l’Assemblée nationale de sa possibilité de rejeter la réforme des retraites ». Le RN profite d’une défiance à l’égard des institutions, nourrie notamment par l’incompréhension de ces jeux parlementaires faits d’un amoncellement d’amendements dérisoires. La mystification sur le travail parlementaire désarme les salariéEs, lorsque ce travail ne s’accompagne pas d’une construction du rapport de forces sur les lieux de travail et dans la rue. Face à des députéEs qui attendent sagement le débat sur le fond et agitent des pétitions, Élisabeth Borne n’a rien à craindre. En janvier 2020, lors de la mobilisation contre le projet précédent, Marine Le Pen affirmait sur BFM-TV qu’organiser un référendum serait « le meilleur moyen de faire arrêter la grève ».

Ne rien changer mais toujours avec la préférence nationale

Être raisonnable est aussi l’un des arguments justifiant la réécriture de son programme présidentiel, il y a un an. Marine Le Pen réservait soudain les 60 ans avec 40 annuités aux carrières longues : « Plus vous avez commencé tôt, plus vous partirez tôt ». Son système progressif revient en réalité à ne rien changer à la situation actuelle pour les salariéEs qui auraient commencé à travailler après 21 ans. Ce revirement ne convainc pas encore le patronat, pour qui Macron fait très bien le taf. Mais le retour à la retraite à 60 ans, mesure populaire, a toujours l’air d’être au programme de Marine Le Pen.

La question des retraites oblige à poser des perspectives. Pour le RN, elles sont simples : travailler plus tôt et faire des enfants bien français. Travailler plus tôt, pour les uns en « osant l’entrepreneuriat », pour les autres en « adaptant le demandeur d’emploi […] aux demandes qui sont faites par les entreprises » (Marine Le Pen devant le MEDEF en février 2022). Faire des enfants pour s’assurer de futurs cotisants « de souche », grâce à une politique nataliste qui contrerait « l’immigration de peuplement » selon la proposition de loi de Caroline Parmentier en septembre 2022.

Le modèle social du RN est axé sur « la priorité nationale » pour exclure de la solidarité et du modèle de protection sociale les étrangerEs... qui pourtant travaillent, consomment et cotisent en France, tout en durcissant les conditions d’accès à la nationalité et en supprimant le droit du sol. Mais à force d’exonération des charges patronales, ce modèle de protection serait vidé de sa substance. Son rêve est toujours celui d’une réconciliation entre salariéEs et patrons où toutes les catégories s’organiseraient dans un même syndicat de branche... au prix d’un laminage du mouvement ouvrier. Ainsi Thibaut de La Tocnaye, figure historique du parti, quoique marginale, appelait, fin janvier, à une « France "remise en ordre". (…) Avec une vraie représentativité professionnelle (liberté syndicale et renouveau syndical) ».

Les députéEs du RN sont capables de descendre dans la rue : la mobilisation des artisans-boulangers ne les a pas fait hésiter une seconde. Si le RN n’a rien à faire dans nos luttes, c’est parce qu’il défend un modèle non seulement incompatible avec notre projet d’émancipation et d’épanouissement de chacunE, mais qui en serait aussi le tombeau.