Les résultats du premier tour des élections législatives ont confirmé les grandes tendances observées lors de la présidentielle, avec un phénomène de polarisation entre trois blocs : un bloc de gauche autour de la NUPES, un bloc libéral-autoritaire autour de Macron et de ses soutiens, un bloc d’extrême droite. Rien ne semble joué pour le second tour, toute la question étant de savoir si Macron va réussir, ou non, à obtenir une majorité absolue à l’Assemblée, et combien de députéEs représentant une gauche de rupture avec le social-libéralisme et, donc, une future opposition à Macron, vont être élus.
Le premier tour confirme que la légitimité du président Macron reste faible. Au-delà de certaines défaites particulièrement symboliques et réjouissantes — on pense ici aux éliminations de Jean-Michel Blanquer, Emmanuelle Wargon et Manuel Valls, on constate tout d’abord qu’il n’y a pas eu, contrairement à ce qui s’était passé en 2017, de dynamique pour les candidatEs de la Macronie. Alors qu’il y a cinq ans les candidats En Marche avaient obtenu un résultat moyen supérieur de huit points à celui de Macron au premier tour de la présidentielle, leur score est cette année inférieur de deux points (25,7%) à celui du premier tour d’avril dernier (27,8%). Alors que 518 candidatEs macroniens s’étaient qualifiés pour le second tour en 2017, 420 y sont parvenus cette année, soit à peine plus que les candidats NUPES (390).
Est-ce à dire qu’il s’agit d’une défaite pour Macron ? Le second tour nous renseignera davantage sur cette question, mais l’on peut d’ores et déjà affirmer que le pari macronien de remporter une majorité absolue de députés loyaux, voire aux ordres, est perdu. Lorsque l’on sait à quel point cet objectif était essentiel dans le dispositif de gouvernance autoritaire de Macron, il s’agit plutôt d’une bonne nouvelle, qui pourrait annoncer un quinquennat beaucoup plus tumultueux que le précédent d’un point de vue institutionnel. La Ve République est bien évidemment un régime qui permet de compenser ce type de phénomène, et l’on ne doute pas que Macron et les siens en joueront à fond, mais le moins que l’on puisse dire est que ce premier tour est loin d’être une victoire pour le pouvoir.
Haro contre la NUPES
Il suffit d’ailleurs de voir la fébrilité qui s’est exprimée, du côté de la Macronie, depuis le soir du premier tour, avec par exemple les déclarations contradictoires concernant le second tour : la candidate macronienne dans la circonscription de Marine Le Pen a ainsi appelé, dans le cadre d’un second tour RN/NUPES, à voter blanc, d’autres représentants de la Macronie appellent à faire barrage face à l’extrême droite, et Élizabeth Borne a repris la formule « Pas une voix ne doit aller au RN ». Autre symptôme, tout aussi significatif, avec la campagne de dénigrement contre Jean-Luc Mélenchon et la NUPES, qui s’amplifie cette semaine. Une NUPES qui a qualifié 390 candidatEs au second tour (contre 146 pour l’ensemble de la gauche en 2017), en plus de quatre qui ont été élus dès le premier, et qui a réalisé nationalement un meilleur score que la majorité présidentielle… n’en déplaise à Darmanin and co et à leurs petites manipulations minables sur les chiffres, largement « débunkées » dès le lendemain du premier tour.
Ces manipulations en disent long, venues d’un pouvoir qui refuse absolument de reconnaître qu’il n’est pas arrivé en tête lors du scrutin, et qui n’a pas hésité à « oublier » de compter les voix de certains candidats pourtant labellisés NUPES, comme il avait tenté d’empêcher que cette nuance politique « unitaire » soit comptabilisée en tant que telle. La grossièreté de la manœuvre est à l’image de la vulgarité des attaques contre la NUPES, que les Macronistes qualifient désormais de coalition « d’extrême gauche », avec une mention particulière à la ministre de la Transition écologique Amélie de Montchalin, qui a dénoncé « ceux qui, en se repeignant de vert et rose, sont des anarchistes d’extrême gauche » (sic). Et que dire de l’ex-ministre Roxana Maracineanu, candidate dans le val-de-Marne (94), qui en appelle au « barrage » et au « front républicain » face à la candidature de la femme de chambre et syndicaliste Rachel Keke ?
Faire perdre Macron en votant NUPES
D’un certain point de vue, cette forme de panique fait plaisir à voir, même s’il est difficile de garder son calme face à des déclarations aussi outrancières. L’inquiétude des amis de Macron face aux scores de la NUPES, qui n’a pourtant, qu’on se le dise, pas grand chose à voir avec l’extrême gauche, trouve sa source dans le fait que ces scores, qui confirment celui de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle, expriment un rejet du pouvoir et des politiques néolibérales. Cette petite dynamique électorale ne doit pas être surestimée, a fortiori au vu du niveau très élevé de l’abstention, notamment chez les jeunes et dans les quartiers populaires, mais elle doit être prise pour ce qu’elle est : l’expression déformée, sur le champ électoral, de rapports de forces idéologiques et sociaux, avec l’affirmation d’un refus, « sur la gauche » des politiques et de la gouvernance de Macron.
Nous avons exprimé nos critiques de la NUPES, et nous continuerons de le faire. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le NPA a refusé de rejoindre cette coalition. Mais force est de constater que des millions de personnes de notre camp social se sont saisies de ces candidatures pour se faire entendre face à Macron, et que nous devons tout faire, dans les jours qui viennent, pour que cette dynamique s’amplifie. Sans illusion électorale, sans repeindre la NUPES en rouge et sans oublier la présence du PS en son sein, mais en affirmant haut et clair qu’il faut tout faire pour battre Macron et pour envoyer un maximum de députéEs représentant une gauche de rupture avec le social-libéralisme. Les élections ne changent pas la vie, mais la composition de la future Assemblée aura des conséquences sur les années qui viennent : si Macron n’a pas de majorité, et s’il y a une centaine, voire plus, de députéEs antilibéraux à l’Assemblée, le climat ne sera pas le même que si Macron triomphe.
Le combat ne fait que commencer
A fortiori dans la mesure où l’extrême droite, même si elle a pu sembler discrète durant la campagne, risque de considérablement augmenter sa présence à l’Assemblée, avec les conséquences que cela peut avoir en termes de visibilité médiatique et de moyens financiers et matériels. Il n’y a certes pas eu de raz-de-marée et le RN, présent au second tour de la présidentielle, peut apparaître comme marquant le pas, mais il ne faut pas sous-estimer ses scores : avec près de 19% des suffrages, le RN réalise son meilleur score aux législatives, et il peut se maintenir dans 208 circonscriptions (contre 120 en 2017) ; le parti d’extrême droite confirme qu’il est dans un processus de « normalisation », avec une réelle implantation dans plusieurs régions (au nord, à l’est et au sud-est) et des percées dans d’autres, y compris dans l’ouest. L’extrême droite aura certes moins de députés que la gauche, mais cela ne signifie nullement que ses capacités de nuisance vont s’en retrouver amoindries, bien au contraire.
Il y a un enjeu à ce que la situation de crise politique qui se poursuit — ce que le premier tour des législatives a confirmé — ne bénéficie pas aux forces les plus réactionnaires. L’instabilité est bien là, et on sait que de telles situations peuvent générer des dynamiques contradictoires, qui ne bénéficieront pas mécaniquement aux oppriméEs et aux exploitéEs. D’où l’enjeu d’infliger une défaite « sur sa gauche » à Macron, mais aussi de préparer, dès aujourd’hui, les combats de demain, en s’appuyant sur les dynamiques militantes qu’ont pu générer les campagnes d’une partie des candidatEs de la NUPES, afin de constituer ou de pérenniser des collectifs prêts à mener les bagarres de demain face au néolibéralisme autoritaire, mais aussi à poser la question de la nécessité, au-delà des élections, de construire des outils de résistance et d’organisation de notre camp.