Publié le Lundi 21 janvier 2019 à 14h32.

Une colère sociale profonde

Cela fait deux mois que le mouvement des Gilets jaunes a commencé. Et au fil des semaines, malgré le matraquage des flics et celui des médias traditionnels, les révoltéEs ne baissent pas les bras. Certains estimaient que le mouvement était enterré avant les congés de Noël, mais il est reparti de plus belle depuis. D'autres affirmaient que les protestataires avaient été entendus, et qu'il était temps maintenant de s'emparer du « grand débat » promis par Macron ! Rien n'y fait. Le mouvement se maintient, s'inscrit dans la durée et provoque toujours l'adhésion d'une majorité de la population.

Cela fait longtemps qu'on entend dire : cela ne peut plus durer, tant de morgue de la part des politiques vis-à-vis de la population, tant de licenciements, de blocage des salaires, et des retraites, aussi visiblement pour favoriser les plus riches, non ça ne peut plus durer. Tout comme la remise en cause des quelques avantages arrachés par les salariés au cours des décennies de lutte. Un des slogans repris dans de nombreuses manifestations était : « Ça ne peut plus durer, ça va péter ! »

 

Un mouvement explosif

Eh bien, nous y sommes. Un mouvement inattendu, inédit a déboulé sur la scène politique. Sans appel politique ni syndical, sans organisation, une explosion de colère qui ne pouvait plus être contenue. Et tout de suite, ce sont les injustices sociales qui ont été mises sur la table, le fait de faire payer les gens modestes, de tout leur mettre sur le dos, comme les taxes prétendument écologiques, qui devaient aller directement dans les caisses de l'État. Avec en face, tout qui se délitait : les services publics qui déménagent, les lignes de train qui ferment, les classes surchargées, les hôpitaux débordés et ceux de proximité fermés, les emplois qui disparaissent. Comme le disait Simone Weil, une militante ouvrière au moment de la grève de 1936 : « Il s’agit, après avoir toujours plié, tout subi, tout encaissé en silence pendant des mois et des années, d’oser se redresser, se tenir debout. Prendre la parole à son tour. » La contestation a pris, au fil des semaines, un aspect global de remise en cause de la société, même si les choses ne sont pas formulées comme ça. Mais lorsqu'on conteste le système de transport, la fiscalité, la politique environnementale, l'éducation et la démocratie représentative, c'est la question du pouvoir dans son ensemble qui est posée. Au profit de qui fonctionne la société ? Où va l'argent ? 

 

Le choix de la répression 

Jamais la formule d’Engels selon laquelle « en dernière instance, l'État est une bande d'hommes armés » au service de la classe dominante n’a autant semblé d’actualité. De nombreux manifestantEs ont pu l'apprendre ces dernières semaines, au détriment parfois de leur intégrité physique. On ne compte plus en effet les blesséEs, victimes de tirs de flasball, ou de grenades explosives GLI-F4, composées de TNT et d'une charge lacrymogène, une arme de guerre interdite dans tous les autres pays européens pour le maintien de l'ordre. 

Après avoir prétendu comprendre les manifestantEs pendant un très court moment, le pouvoir a sorti ses hommes armés, avec le permis de frapper impunément, comme ce commandant de Toulon frappant un jeune homme adossé à un mur, une vidéo qui a soulevé la colère. Car ce commandant n'est pas inquiété, ni les autres forces de l'ordre, alors que des milliers de manifestants ont été arrêtés, inculpés, jetés en prison. Le deux poids deux mesures est à l’œuvre…

 

Et maintenant ?

Macron avait espéré endormir les protestataires en annonçant un grand débat national. Une vaste fumisterie, étant donné que des interdits avaient déjà été posés au préalable : pas de retour sur l'ISF, pas d'augmentation du SMIC, des pensions, ni abrogation d’aucune des lois déjà votées. 

La question se pose maintenant : comment faire céder le pouvoir ? Des Gilets jaunes se la posent de plus en plus. Certains optent pour le référendum d'initiative citoyenne, qui donne l'illusion de pouvoir décider de leur sort. Comme si les riches banquiers suisses avaient eu à pâtir des votations prises comme exemple par les défenseurs du référendum. Mais cette revendication sous-tend une volonté légitime d'avoir du pouvoir sur sa vie. 

Il y a cependant un grand absent dans cette révolte : les bataillons des ouvriers des grandes entreprises et de la fonction publique. Et pourtant, ils en ont des raisons de se révolter : salaires en berne, conditions de travail qui se dégradent, licenciements, manque de personnel partout. Et, avec les ordonnances Macron, des facilités supplémentaires données aux patrons pour revenir sur des acquis, ce qui commence à se voir dans un certain nombre d'entreprises.

Il est important de se saisir du climat de contestation pour rentrer dans la danse, car c'est de cela dont le mouvement a besoin en ce moment. Pour cela, il faut surmonter la défiance entre grandes et petites entreprises, syndiqués ou non. Et surmonter également l'immense et scandaleuse passivité des syndicats. Or cette opportunité pour changer la vie, qui existe aujourd'hui si tout le monde s'y met, est une véritable chance à saisir.

Régine Vinon