Publié le Mardi 26 juillet 2022 à 15h51.

Une situation sociale fortement instable

Entre la montée de l’inflation, le développement de la pauvreté, les démissions au travail et le résultat des élections, des contradictions se développent qui pourraient rapidement mener à de nouvelles explosions sociales.

L’inflation fragilise des millions de personnes. Alors que près de 10 millions de personnes vivaient en dessous du seuil de pauvreté avant l’explosion des prix en mars, la situation risque de sérieusement s’aggraver dans les prochaines semaines. Le prix de l’énergie grève considérablement les budgets.

Le pouvoir d’achat en péril

Le patronat est très conscient du caractère volatile de la situation. Le gouvernement multiplie les annonces et les gestes symboliques destinés à marquer les consciences : chèque énergie, baisse de 18 centimes de la taxe sur le carburant, prime par ci et miettes par là…

Le projet de loi dit « pouvoir d’achat » qui a été présenté le 7 juillet tente aussi d’envoyer des signaux dans le but d’apaiser sinon la colère parmi les salariéEs, du moins une certaine fébrilité et une certaine inquiétude dans la population laborieuse. L’augmentation du point d’indice de 3,5 % des fonctionnaires ne résout en rien le décrochage de leurs salaires qui n’ont quasi pas été revalorisés depuis 20 ans – à part une minuscule revalorisation en 2017. La valeur du point d’indice mensuel était de 4,26 € en 2000. En 2021 il était de 4,68 €. Inchangé depuis 2017 !

Les retraitéEs vont-elles et eux aussi avoir leur miette de 4 % d’augmentation au 1er juillet, après des décennies de gel des pensions. Et encore les retraites complémentaires devront attendre octobre.

Les prestations familiales, les minimas sociaux seront, eux aussi seront revalorisées de 4 % au 1er juillet. La prime d’activité sera également revalorisée de 4 %. Ainsi, unE salariéE au Smic à temps plein, soit 1 303 euros nets par mois, touchera 31 euros de plus.

Des mobilisations pour les salaires

Le patronat essaie de limiter au maximum les augmentations de salaires et voudrait s’en tenir à des primes ou des revalorisations individualisées. De nombreuses grèves se déclenchent en ce moment dans le privé et le public pour les salaires. Leur durée va de quelques heures comme à la SNCF récemment, à plusieurs semaines. Elles permettant souvent d’obtenir des augmentations plus importantes que celles que voulaient concéder le patronat. Certains patrons essayent de s’éviter un conflit en proposant des rallonges avant de subir une grève.

Malheureusement, pour l’instant ces conflits ne sont pas coordonnés. Ils ont lieu entreprise par entreprise. Ces grèves sont souvent prises en main par les syndicats sans qu’il y ait un quelconque début d’auto-organisation des salariéEs concernéEs.

Il s’agit de conflits dont il est difficile de cerner l’impact sur la conscience de celles et ceux qui y participent, à fortiori sur celle de l’ensemble de la classe laborieuse.

En fait c’est la suite de ces conflits qui va compter. Car l’inflation est partie pour durer. Si le patronat est prêt à lâcher des miettes de façon ponctuelle, il n’est pas décidé à amputer spontanément ses taux de profit sans y être contraint. Il faudrait un mouvement d’ensemble et non seulement des journées d’action syndicales même si celles-ci peuvent avoir leur utilité.

Proposer la coordination et une généralisation des luttes qui ne manqueront pas de se déclencher devraient être la préoccupation des militants syndicaux combatifs et des révolutionnaires. Ce seront les seulEs qui pourront proposer l’auto-organisation des salariéEs en grève. C’est seulement ainsi que le niveau de conscience des travailleurEs pourra progresser, pour commencer à envisager un avenir débarrassé de l’exploitation et de la misère qui s’annonce pour un grand nombre.

L’issue pour les salariéEs ne consiste pas à courir perpétuellement derrière les hausses de prix. Les grèves pour l’augmentation des salaires sont la condition nécessaire pour résister et éviter la paupérisation de millions de travailleurEs. Mais ce n’est pas la condition suffisante pour en finir avec ce système capitaliste.

Le rapport au travail évolue

Il n’y a pas que l’inflation qui déstabilise la société. Il y a aussi la situation de l’emploi. Il faut constater que le taux de chômage en France est à son niveau le plus faible depuis 2008 avec 7,3 % de la population active au premier trimestre1. Dans l’Union européenne ce chiffre est de 6,2 %.

Ces chiffres servent de prétexte à un durcissement des règles d’indemnisation. Depuis le 1er octobre, le nouveau mode de calcul des allocations est plus défavorable aux chômeurs/euses puisque les périodes d’inactivité sont prises en compte, désormais, dans le calcul de l’indemnisation (ce qui baisse fortement le Salaire Journalier de Référence). Par ailleurs les conditions d’ouverture d’un nouveau droit sont également durcies et les contrôles pouvant déboucher sur une radiation sont renforcés2.

C’est dans ce contexte qu’un phénomène social inédit a fait son apparition un peu partout dans le monde. Aux USA il est appelé « la grande démission ». 38 millions d’AméricainNEs ont quitté leur emploi au cours de l’année 2021. Depuis 2021, unE salariéE américainNE sur trois a démissionné !

En France les chiffres sont moins impressionnants ; les démissions jusque-là concernaient les secteurs de l’hôtellerie et de la restauration. Maintenant ce sont les commerçantEs, les enseignantEs, les soignantEs qui sont gagnéEs par les envies de reconversion.

Ce phénomène doit être étudié très attentivement. Le rapport au travail de certainEs salariéEs se transforme radicalement dans un contexte de baisse du chômage. Les confinements, les couvre-feux, les restrictions ont amené nombre de salariéE à réfléchir sur leurs conditions de vie.

Le temps de travail et les conditions de travail sont devenus primordiaux. Ainsi les secteurs du commerce, de la restauration, de la santé ont connu des conditions de travail particulièrement éprouvantes durant l’épidémie. CertainEs salariéEs à bout de force ont ainsi décidé de quitter leur emploi pour se préserver. Ces démissions s’étendent maintenant à d’autres secteurs, y compris dans la fonction publique, l’industrie et l’agriculture.

Selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares, service statistique du ministère du travail), près de 470 000 Français ont quitté leur CDI au premier trimestre de l’année, soit 20 % de plus qu’à la fin de l’année 2019.

Ces démissions s’ajoutent aux difficultés de recrutement, réelles dans certains secteurs même si le patronat et Macron les montent en épingle pour dire qu’il suffit de « traverser la rue » pour trouver du travail. Certaines entreprises et secteurs de la fonction publique sont d’ores et déjà en difficulté. Dans la santé publique, des services entiers ferment partiellement ou totalement par manque d’effectif.

Il s’agit dans les faits de réactions individuelles. Mais la simultanéité de ces démissions en fait un mouvement social. Ce sont des millions d’individus qui réagissent individuellement mais au même moment. Sans revendications, sans organisation collective, sans syndicat ni comité de lutte. Mais avec une furieuse envie de vivre autrement, de vivre mieux, de ne plus être aliénés, d’avoir plus de temps, et d’être mieux payés. D’après l’étude « Global Workforce Hopes and Fears » menée en mars 2022 par PwC (citée par les Échos), la hausse de salaire reste la première motivation (58 %) pour changer d’emploi en France, suivie par l’épanouissement professionnel (55 %).

En parallèle nous avons encore en tête ces étudiantEs de grandes écoles, AgroParisTech, par exemple, qui, le jour de leur remise de diplôme, ont à leur façon elles et eux aussi démissionné en déclarant publiquement qu’ils et elles désertaient l’agro-industrie en appelant leurs camarades de promotion à rejoindre les luttes écologiques… Nous devons nous sentir concernéEs par ces désertions en masse. Il est plus que jamais nécessaire de tout faire pour donner une cohérence à ces démissions, de leur donner des perspectives politiques à la hauteur de l’ampleur du phénomène.

Avec les salaires, la lutte pour la diminution du temps de travail doit être remise au centre des revendications. Non seulement pour grapiller quelques heures mais pour réduire considérablement le temps passé au travail. Sans perte de salaire, bien sûr.

Reconstruire la conscience de classe

Mais chaque chose en son temps. Ce qui caractérise aujourd’hui notre classe sociale, c’est son absence de conscience d’être une classe en tant que telle. Dans bien des entreprises les collectifs de résistance à l’exploitation, comme les sections syndicales, sont inexistants ou considérablement affaiblis. Bien souvent les salariéEs sont seulEs face à l’arbitraire. Et quand il existe des sections syndicales en état de fonctionner, les militantEs passent le plus clair de leur temps à défendre individuellement les collègues de travail. L’organisation et la lutte collective sont remiséEs à un hypothétique plus tard.

Et c’est une situation désastreuse qui prédomine sur bien des lieux de travail à l’heure actuelle : démoralisation, dissensions au sein des équipes, soumission à l’arbitraire voire burn out, dépressions et dans les pires des cas des suicides.

Les militantEs syndicaux et/ou révolutionnaires ne sont pas épargnéEs par cette ambiance on ne peut plus morose. C’est d’ailleurs cette situation qui peut également expliquer en partie cette grande démission : le besoin de se protéger.

C’est pourquoi il est vital de renouer avec des perspectives politiques d’émancipation sociale, de renversement du capitalisme et d’une société humaine débarrassée du parasitisme et de l’exploitation, de la propriété privée des moyens de production et du saccage de la nature.

La séquence électorale qui vient de se terminer peut aider à reconstruire des collectifs militants, dans les entreprises bien sûr, mais aussi dans les quartiers, dans les villages, partout…

Des députéEs (surtout celles et ceux de La France insoumise) qui n’ont pas leur langue dans leur poche vont sans doute entreprendre une guérilla parlementaire contre les réactionnaires de Renaissance au RN, sur des sujets très importants pour le monde du travail : les salaires, les retraites, les femmes, et peut-être les sans-papiers et réfugiéEs, etc. Mais l’essentiel du champ de la bataille de classe ne se situe pas sur le terrain des institutions. C’est là la grande limite de la NUPES. Et à cela il ne faut pas oublier les 53 % d’abstention, dont la plupart des habitantEs des quartiers populaires.

Mais il ne faut pas faire la fine bouche. Dans ce climat de marasme social et politique, tout ce qui peut redonner le moral est bon à prendre. Et la perte de la majorité absolue de Macron et l’élection des 131 députéEs de la NUPES ne sont pas des mauvaises nouvelles. La mauvaise nouvelle, c’est l’élection de plus de 90 députéEs d’extrême droite. Ce qui correspond à un réel courant de pensée dans la population, même s’il ne faut pas exclure dans l’élection de députéEs RN la manifestation ponctuelle de la détestation de Macron et de sa clique.

C’est ce courant de pensée qu’il va falloir combattre pied à pied. Les fascistes ont prouvé leur sens politique en étant présentEs dans le mouvement des Gilets jaunes, dans les manif anti pass… en fait dans tout mouvement non délimité. Ce qui est souvent le cas au début de bien des mouvements. Y compris sociaux. C’est donc sur tous les terrains qu’il faut être présentEs pour systématiquement contester à l’extrême droite l’influence dans la rue.

Nos armes idéologiques sont aux antipodes de celles des fascistes : ils mentent, nous disons la vérité. Ils sont antidémocratiques, nous sommes pour la démocratie à tous les niveaux de la société. Ils sont racistes pour diviser les travailleurEs, nous œuvrons à unifier la classe laborieuse… En bref, les fascistes sont pour la domination bourgeoise la plus violente, nous sommes pour le renversement de l’état bourgeois. C’est de cela qu’il faut convaincre nos collègues de travail et nos voisinEs.

La situation politique est aussi instable que la situation sociale. Rien n’est figé. Macron utilise toutes les ficelles de la constitution et des manœuvres parlementaires mais il peut être mis en échec sur ses projets de réforme. Le climat social est lourd de colère et tout peut s’accélérer. Dans le sens de l’émancipation sociale ou dans celui de la dictature renforcée de la bourgeoisie.

Le rôle des révolutionnaires sera déterminant dans la période.

  • 1. La Croix 17/05/2022
  • 2. Capital 30/11/2021