Publié le Samedi 18 février 2023 à 09h47.

Vers une grève politique

La mobilisation reprend des formes devenues traditionnelles : grève massive dans les entreprises d’État et les services publics, manifestations de masse, assemblées générales qui, si elles ne sont pas massives, font le relais entre les syndicalistes combatifEs et une partie des salariéEs. Les structures interprofessionnelles, faibles également, contribuent à la construction de la mobilisation. Mais le mouvement se démarque par quelques éléments.

Un mouvement d’une ampleur inédite

Dans nombre de villes, les manifestations ont pris une ampleur exceptionnelle, dépassant même celles de 2015 après les attentats contre Charlie Hebdo. L’ancrage est impressionnant dans les villes moyennes, avec parfois l’équivalent d’un quart de la population dans la rue (4500 à Lons-le-Saunier le 7 février sur 15 000 habitantEs, 14 000 à Lorient le 31 janvier sur 57 000 habitantEs, 10 000 le 11 février à Tarbes sur 43 000 habitantEs…). Plus de 250 manifestations ont eu lieu le 7 février, permettant aux travailleurSEs de se mobiliser sur leur lieu d’habitation ou de travail.

Le deuxième indicateur est l’implication du secteur privé. Les témoignages sont nombreux à souligner la présence de cortèges d’entreprises dans les villes moyennes, mobilisant des salariéEs qui n’avaient encore jamais fait grève. Les témoignages concordent également sur la prise de conscience du lien entre réforme des retraites et pénibilité du travail, mais aussi les salaires, montrant que le mouvement actuel s’inscrit dans un contexte de contestation globale des rapports entre capital et travail, qui s’appuie sur des éléments très concrets : « Selon les statistiques du ministère du Travail, les 50 ans et plus représentent actuellement plus du tiers (35 %) des demandeuses et demandeurs d’emploi de longue durée1 ». « En 2021, 56 % des personnes de 55 à 64 ans sont en emploi (contre 81,8 % des 25 à 49 ans2). » « 26 % des jeunes de 18-24 ans vivent sous le seuil de pauvreté. » « Le taux de pauvreté monétaire grimpe à 40 % pour ceux qui sont étudiants et habitent seuls3. » Le prolétariat se sent attaqué par une réforme qui met en lumière toutes les injustices sociales4.

La victoire est possible

L’ampleur du mouvement révèle la possibilité d’un rapport de force militant et politique gagnant. D’autant plus que le pouvoir est en difficulté, du fait de sa faible légitimité. L’épisode du départ de la majorité parlementaire de l’Assemblée nationale lors du vote de la proposition de loi sur la nationalisation d’EDF montre aussi une forme de fébrilité.

Dans Grève de masse, partis et syndicats, Rosa Luxemburg souligne le rôle de la grève de masse comme outil pour la conquête de droits démocratiques pour la classe ouvrière. Loin du « schéma rigide et vide qui nous montre une “action” politique linéaire exécutée avec prudence et selon un plan décidé par les instances suprêmes des syndicats », elle décrit la grève de masse comme l’entrée en mouvement d’une multitude de grèves locales et/ou sectorielles qui, face à l’éclatement de contradictions du capitalisme, dénoncent l’impossibilité de supporter certaines conditions matérielles et révèlent une aspiration démocratique. Force est de constater que notre situation y ressemble fortement, entre les revendications sur le pouvoir d’achat, les conditions de travail et l’absence de légitimité démocratique du pouvoir de Macron.

« La cause et l’effet se succèdent et alternent sans cesse, et ainsi le facteur économique et le facteur politique, bien loin de se distinguer complètement ou même de s’exclure réciproquement, comme le prétend le schéma pédant, constituent dans une période de grève de masse deux aspects complémentaires de la lutte de classe prolétarienne en Russie. C’est précisément la grève de masse qui constitue leur unité » poursuit Luxembourg.

Faire gagner le mouvement, que ce soit pour obtenir le retrait de la réforme des retraites, construire une contre-offensive pour le retour de la retraite à 60 ans et des 37,5 annuités, gagner des augmentations de salaires, ou pour construire une alternative au capitalisme, poser la question du pouvoir du prolétariat, nécessite d’articuler revendications sociales et lutte contre le pouvoir de Macron. C’est l’essentiel des tâches d’un parti révolutionnaire.

« C’est sur le même terrain de la considération abstraite et sans souci de l’histoire que se placent aujourd’hui d’une part ceux qui voudraient déclencher prochainement en Allemagne la grève de masse à un jour déterminé du calendrier, sur un décret de la direction du Parti, et d’autre part ceux qui […] veulent liquider définitivement le problème de la grève de masse en en interdisant la “propagande” » indique encore Luxemburg. La construction d’une grève de masse combine le travail concret pour la grève reconductible et auto-organisée dans le maximum de secteurs, en s’appuyant sur des dates comme le 8 mars, sans en faire un fétiche, tout autant que sur des mots d’ordre revendicatifs posant la question du pouvoir. C’est autour d’une telle politique que nous pouvons construire le parti.

 

1) https://www.mediapart.fr…

2) https://dares.travail-em…

3) https://www.mediapart.fr…

4) Voir aussi Retraites : le « pink bloc » veut réconcilier luttes LGBTQI+ et luttes sociales : https://www.mediapart.fr…