La nouvelle campagne d’affichage de Médecins du Monde (MdM) sur le prix de la vie vient d’être censurée...
«Un milliard d’euros de bénéfices, l’hépatite C on en vit très bien », « Une leucémie, c’est en moyenne 20 000 % de marge brute », ou encore « Le mélanome, c’est quoi exactement ? C’est quatre milliards de chiffre d’affaires »… Voilà des affiches de Médecins du Monde que vous ne pourrez pas voir sur les murs des villes ou des métros. Cette campagne d’affichage a en effet été censurée par l’Autorité professionnelle de régulation de la publicité qui jugeait qu’elle pourrait nuire aux laboratoires pharmaceutiques en soulignant « le risque de réactions négatives (…) de la part des représentants de l’industrie pharmaceutique. En effet, les entreprises ainsi mises en cause pourraient estimer qu’une telle campagne porte atteinte à leur image, leur cause un grave préjudice, et décider d’agir en ce sens. » Quand on sait que le budget communication de l’industrie pharmaceutique se monte à 25 000 euros par an et par médecin, oui, 25 000 euros, on comprend le poids de la menace !
« Est-ce au marché de faire la loi ? »
Aussi Médecins du Monde a décidé de faire campagne sur le net et de mettre en ligne une pétition 1 qui interpelle le ministère de la Santé sur le prix indécent des nouveaux médicaments. En effet, en France, les prix des médicaments ne sont pas libres, ils sont le fruit d’une très opaque négociation entre le gouvernement et l’industrie pharmaceutique à travers un Comité économique des produits de santé (CEPS)...
La pétition dénonce « les marges colossales et révoltantes sur les traitements des malades » et pose une question simple à la ministre : « Quand il s’agit de santé, est-ce au marché de faire la loi, ou est-ce à l’État ? », en lui demandant « d’user de tous les moyens juridiques et politiques en votre pouvoir, afin de faire baisser drastiquement le prix des médicaments innovants. Notre santé en dépend ».
La présidente de MdM, Françoise Sivignon, dénonce ainsi le prix du Sofosbuvir, le premier antiviral à action directe efficace contre l’hépatite C. Le coût d’un traitement se chiffre à « près de 41 000 euros ». 200 000 malades en « auraient besoin »... mais seulement 30 000 sont sous traitement. Alors qu’une équipe de chercheurs de Liverpool a estimé que le coût de production du Sofosbuvir ne s’élevait qu’à 75 euros pour les trois mois de traitement nécessaires, un prix de revente de 41 000 euros annuel, c'est 400 fois plus cher ! Depuis plusieurs années, le prix des médicaments est en constante augmentation : le Keytruda contre le mélanome est vendu plus de 100 000 euros par patient, le Glivec pour soigner la leucémie 40 000 euros par an et par patient.
Coûteux et peu de bénéfices thérapeutiques ?
En mars déjà, 110 cancérologues lançaient un appel contre l’explosion du coût des nouveaux anti-cancéreux, dont certains offrent aux malades un espoir de survie plus longue et une meilleure qualité de vie. Pourtant, le coût exorbitant de ces innovations risque fort de compromettre ces espoirs, en limitant fortement leur possible utilisation. En une quinzaine d’années, le prix moyen des traitements a bondi de 10 000 à plus de 120 000 euros par patient et par an. Une explosion d’autant plus injustifiée que le coût de leur recherche et développement a, lui, diminué ! Et d’ailleurs depuis les 20 dernières années, 74 % des médicaments mis sur le marché n’apportent que peu de bénéfices thérapeutiques selon MdM.
Les pistes immédiates avancées par MdM ou l’appel des 110 cancérologues sont les mêmes : en finir avec la politique des autorités qui acceptent de s’aligner sur les exigences des firmes pharmaceutiques. D’abord définir un prix basé sur la recherche et développement du produit (en tenant compte des apports fournis par la recherche académique), et non sur ce que les laboratoires estiment pouvoir soutirer à la Sécurité sociale, au prétexte des vies sauvées, des cirrhoses évitées… Car si cette logique s’appliquait à d’autres secteurs, par exemple dans l’automobile, on payerait un airbag au prix d’une vie !
Ensuite rendre le système d’arbitrage des prix plus démocratique et transparent, en y associant de façon structurelle des représentants des patients et des professionnels. Ou encore ne plus accepter les extensions de durée des brevets que la rapidité du développement des nouvelles thérapeutiques ne justifie pas. Et enfin autoriser, comme cela existe déjà pour les traitements du sida et des infections opportunistes, l’utilisation de licences obligatoires pour les pays en développement, qui leur permettent la production et l’utilisation de génériques avant même que les brevets ne tombent dans le domaine public. La licence d’office peut être utilisée lorsqu’un médicament est mis à la disposition du public « à des prix anormalement élevés, ou lorsque le brevet est exploité dans des conditions contraires à l’intérêt de la santé publique », comme le souligne l’article L613-16 du Code de la propriété intellectuelle.
Aussi, signons la pétition de MdM, car nos vies valent plus que leurs brevets !
Frank Cantaloup