Sandrine Caristan, chercheuse et déléguée Sud à Sanofi, membre du collectif Sanofric a expliqué dans notre émission du 25 janvier le rôle de l’industrie pharmaceutique, avec la complicité des États, dans la crise du Coronavirus.
L’Anticapitaliste : Comment on peut expliquer en quelques mots l’échec de Sanofi dans la recherche vaccinale ? Est-ce qu’on peut mettre ça sur la faute du gouvernement ou de la boîte ?
Sandrine Caristan : Disons à cause des deux ! De Sanofi parce que depuis des années, on fait face à des restructurations permanentes à tous les niveaux dans le groupe, que ce soit au niveau de Sanofi Pasteur, donc au niveau des vaccins, mais aussi au niveau de Sanofi chimie donc dans la production pharmaceutique classique, ou à Sanofi recherche. Tous les sites, tout le groupe, la distribution, les visiteurs médicaux, tout le monde a été touché.
Il y a eu des fermetures de sites : ces dernières années on en a perdu treize ainsi que plus de 5000 salariéEs.
On a changé des gens de métier : par exemple, l’usine de Neuville, qui était spécialisée dans la production chimique, s’est retrouvée à devoir du jour au lendemain se reformer pour devenir une usine de production de vaccins, le dengue vaccia. Mais ça ne s’improvise pas.
C’est facile de casser mais par contre, construire derrière peut prendre plusieurs années, voire plusieurs décennies parce qu’il y a des choses qu’on ne peut pas retrouver. On arrête aussi des axes thérapeutiques majeurs comme le diabète, le cardiovasculaire, Alzheimer et aussi les antibiotiques.
Aujourd’hui c’est une pandémie virale qui nous attaque, mais si c’était une pandémie bactérienne et bien aujourd’hui on n’a pas d’antibiotiques conséquents. Une entreprise comme Sanofi, qui est quand même une des premières entreprises au monde, a arrêté toute la recherche sur les antibiotiques. C’est dramatique.
Pour le vaccin, est-ce qu’il a fallu aller vite ou est-ce qu’on a perdu notre savoir ?
C’est certainement un petit peu des deux.
Sanofi, comme beaucoup de Big pharma, n’a pas rempli son rôle d’industrie pharmaceutique où il faut anticiper. La recherche pharmaceutique, ça s’anticipe. Ce n’est pas normal qu’on soit arrivé au moment du Covid le nez dans le mur et devoir rechercher un vaccin en quatrième vitesse. C’est aussi comme ça qu’on se retrouve confronté à du scepticisme sur le rôle des vaccins.
Il n’y a eu aucune anticipation et puis une perte de connaissance : la communication officielle de Sanofi, c’est qu’il y a eu une erreur de laboratoire. Moi j’appelle ça une erreur de débutants. C’est incroyable qu’ils aient pu se tromper à ce point : ils se seraient trompés sur la concentration d’un réactif, ce qui aurait faussé la recette pour mettre la bonne quantité d’antigène.
Comment ça a pu arriver alors que Sanofi était en tout cas un des meilleurs dans le monde ?
C’est notamment à cause de la sous-traitance. C’est bien la peine de s’appeler Sanofi Pasteur et d’être incapable de répondre présent au moment où il l’aurait fallu !
Le 19 janvier, c’était la journée de mobilisation nationale dans le groupe Sanofi contre les suppressions de postes. Sanofi va détruire 400 postes dans la recherche en France, ce timing est complètement incompréhensible pour nous. Peux-tu l’expliquer ?
Il est incompréhensible aussi pour les salariéEs et c’est pour ça qu’ils et elles se sont mobiliséEs. La mobilisation a été très suivie, pour un peu toutes sortes de revendications en fin de compte : contre les suppressions de postes, mais aussi la politique salariale et la politique d’embauches et de recrutement. Il avait à peu près 2000 personnes, tous les sites en France ont été touchés, de la recherche, de la production, des vaccins et de la distribution. Tout le monde a été dehors pour expliquer son mécontentement.
On est cloisonné en petites structures et généralement, Sanofi nous attaque morceau par morceau, pour empêcher les grandes mobilisations. Aujourd’hui, les salariés en ont ras-le-bol, entre les suppressions de postes qui sont dramatiques mais aussi cette année le fait que Sanofi remercie ses salariés qui ont travaillé comme des dingues pour le Covid en leur donnant 0 % d’augmentation, pour permettre de donner 4 milliards d’euros aux actionnaires. Ce sont les salariés qui payent la politique salariale et financière de Sanofi.
Au niveau des postes c’est complètement incroyable : quel aplomb Sanofi peut avoir de supprimer encore des postes en recherche alors que justement ils sont en train de dire qu’ils ont échoué au niveau du vaccin !
Ce sont 400 suppressions de postes qui nous sont annoncés mais on n’a pas encore le détail. On a déjà des bruits qui expliquent que ce sont 400 postes, mais en solde : donc Sanofi envisage par exemple la suppression de 600 postes de chercheurs, remplacés par 200 embauches… par exemple dans le digital. Dans ce cas, 600 compétences scientifiques de chercheurs vont disparaître. On avait déjà du mal, mais ça va continuer !
Je pense que Sanofi devrait réfléchir à savoir comment remplir son rôle d’acteur de santé publique plutôt que se débarrasser de ses salariés et de s’en servir comme variable d’ajustement.
Il y a eu des financements publics pour la recherche du vaccin. Peux-tu expliquer la course au fric autour du vaccin et notamment le scandale des subventions des États à travers les préachats ?
Au tout début, Sanofi était un des seuls laboratoires où il n’y avait pas de précommandes fermes et définitives dans les contrats signés. Il fallait absolument que le vaccin qu’il sortirait montre son efficacité et sa sécurité pour pouvoir avoir accès à ces précommandes, à travers une espèce de clause de revoyure pour voir si le vaccin donnait satisfaction.
Mais début septembre, la Commission européenne a conclu un second contrat avec Sanofi avec une précommande de 300 millions de doses alors que le vaccin était encore au tout premier stade d’essais cliniques.
Comment est-ce possible ? Au printemps, Paul Hudson, directeur général de Sanofi, a expliqué qu’ils allaient donner les premières doses selon la formule « premiers à payer, premiers servis », en oubliant le milliard et demi de crédit impôt recherche qu’ils ont pu avoir pendant les dix dernières années et en menaçant de passer les États-Unis en premier. C’était juste un petit coup de pression au niveau de l’Union européenne pour qu’elle signe ce fameux contrat de précommande de 300 millions de doses.
À 7,56 euros la dose, quand on multiplie par ces fameux 300 millions de doses, cela représente 2,2 milliards d’euros. Tout bon capitaliste qui se respecte ne peut pas passer à côté d’une telle somme. Sans compter le 1,5 milliard de dollars que la Barda, l’agence américaine, a donné à Sanofi et les 200 millions promis par Emmanuel Macron lorsqu’il avait été faire sa jolie visite théâtrale sur le site de Lyon.
Les industries pharmaceutiques en ont rêvé, les gouvernements l’ont fait : on leur a payé la recherche et le développement du vaccin – ce qui en principe coûte le plus cher, on leur a acheté une promesse sans même savoir si le vaccin allait être ou pas efficace, et puis maintenant on doit acheter les doses. Combien de fois va-t-il falloir l’acheter pour pouvoir enfin un jour en profiter ?
Quelles revendications tu penses qu’on doit porter sur la recherche et notamment dans l’industrie pharmaceutique face à la crise et le fiasco qu’on connaît aujourd’hui ?
Quand on voit ce qui se passe, on s’aperçoit qu’il ne faut absolument pas laisser au privé la santé publique et mondiale, parce que c’est alors le privé qui choisit les axes thérapeutiques sur lesquels il va travailler. Ainsi, il ne travaille que sur les produits lucratifs et certainement pas sur les axes thérapeutiques majeurs dont on a besoin aujourd’hui.
Il faut réclamer évidemment la transparence sur les essais cliniques, réquisitionner les moyens de production pour assurer l’indépendance thérapeutique, française pourquoi pas mais surtout mondiale. Quand Sanofi se débarrasse d’un site comme c’est arrivé sur le site de Porcheville, ou parfois de pans entiers de ses activités comme les antiinfectieux, un État stratège devrait sauter sur l’occasion pour récupérer cet outil abandonné.
Il faut une une réappropriation citoyenne par la création d’un pôle public du médicament. Ce n’est peut-être pas forcément la panacée, mais il faut commencer par quelque chose. Il faudra qu’un tel pôle public se réalise avec une réappropriation par des associations de patients, des citoyens, mais aussi des salariés – pourquoi pas des syndicats – pour pallier les pénuries de médicaments qui sont récurrentes ces dernières années, en particulier pour des médicaments qui sont peu chers et peu rentables et que du coup les industries pharmaceutiques ne fabriquent plus. Mais ausi pour empêcher ’explosion des prix comme par exemple celui de l’insuline dont le prix aux États-Unis a été multiplié par 3 voire jusqu’à 10 en moins de 10 ans.
Pour terminer par une petite phrase qui pourrait être un sujet de philosophie pour nos étudiants dans la galère : est-ce que le médicament a vocation à être rentable ?
Propos recueillis par Manon Boltanski, transcription par Antoine Larrache