Publié le Mercredi 21 avril 2021 à 09h41.

Covid-19 : 100 000 morts

En Europe, après la Grande-Bretagne et l’Italie, c’est la France qui vient officiellement de passer la sinistre barre des 100 000 morts directs par le Covid-19. Un chiffre probablement dépassé depuis longtemps, car les comptes macabres de Santé Publique France ignorent les morts à la maison ou en soins de suite de longue durée, probablement autour de 10 000 morts supplémentaires, selon l’analyse des certificats de décès de l’Inserm.

«Nous n’oublierons aucun nom », a tweeté Macron. Notre mémoire à nous se souviendra que ce sont surtout les premierEs de corvée qui sont morts, pour la solidarité, mais aussi pour que la société des premiers de cordée puisse continuer à vivre de ses profits.

Inégalités face à la mort

Le CAC 40 est toujours vivant et a même effacé son plongeon historique face à la pandémie. Les ouvrierEs, les plus précaires, qui ne peuvent pas télétravailler, s’entassent dans les logements exigus ou les transports en commun, habitent dans les quartiers à l’atmosphère la plus polluée, sont le plus en surpoids ou hypertendus, et vivent là où les hôpitaux sont les plus démunis, sont ceux qui ont payé le prix le plus lourd à la pandémie. Et parmi elles et eux, d’abord les raciséEs. Selon l’INSEE, lors de la première vague du Covid, la hausse des décès a été deux fois plus forte pour les personnes nées à l’étranger que pour les personnes nées en France, 48 % contre 22 %. Les femmes, toutes choses étant égales par ailleurs, sont moins touchées que les hommes par la pandémie, avec à la clef 45 % des décès contre 55 % pour les hommes. Mais justement les choses ne sont pas égales. Une grande partie de leur avantage biologique est avalée par leur désavantage social : les femmes sont en effet les plus nombreuses dans les métiers de service, dans les structures de soins, hauts lieux de la contamination. Et pour finir, quel manque d’humanité dans ces remarques malthusiennes, parfois lourdes de sous-entendus, qui croient pouvoir fonder une critique de la lutte contre le Covid sur le fait que résidentEs en Ehpad et personnes de plus de 65 ans forment le plus gros des décès…

Épuisement professionnel

Dans les lieux de soins, face à l’avalanche des hospitalisations (355 000 hospitaliséEs pour Covid), face à l’avalanche des morts, les collectifs de travail sont étouffés, par la pandémie, l’urgence, la surcharge de travail, les questions éthiques… et le sentiment de mal faire son boulot. Les défenses psychologiques ont tendance à s’effondrer. On résiste si on a un rôle face à la mort, pour le malade, les familles. Quant les morts se multiplient, quand on n’a pas le temps d’accompagner les familles, quand on a l’impression que rien ne change… on craque. L’absentéisme explose. On pense à partir de l’hôpital. Selon une enquête d’octobre 2020, 57 % des infirmierEs répondant déclarent être en situation d’épuisement professionnel. Un doublement par rapport à avant la crise du covid. 43 % ne savent pas s’ils et elles seront infirmierEs dans cinq ans. Pas étonnant qu’il soit si difficile de mobiliser actuellement dans les hôpitaux.

Climat anxiogène

De nombreuses familles ont vu disparaître leurs proches sans pouvoir leur tenir la main, sans pouvoir les accompagner dans des services ou des EHPAD fermés, dans des funérariums clos. Sans pouvoir se rassembler, et donc parler entre vivants des morts. Parler apprivoise la mort et fait du bien. Ne pas faire le deuil est lourd. La culpabilité rôde, dans une société déjà étouffante à l’avenir incertain. Alors on s’invente des parades. Jamais la société n’a été autant travaillée par le déni de la mort et donc du virus. Feindre d’oublier l’anxiété en niant jusqu’à la réalité de la pandémie ? Mais plus souvent l’anxiété est bien là. Avec la majoration des conduites addictives, des insomnies, des dépressions et des suicides, notamment pour les 12-17 ans. Une anxiété d’autant plus importante que l’horizon est bouché, le logement exigu, le jardin un rêve, et la socialisation par les amiEs, les camarades d’amphi, les camarades d’âge ou d’amour un souvenir lointain ou un avenir inaccessible. Jeunesse volée au temps du covid. Mort, confinement comme petite mort sociale. Avec à chaque fois deux facteurs aggravants : la précarité économique et l’isolement social.

Contre le déni et l’anxiété de mort, agir par nous-mêmes est la seule solution collective. Qui mobilise à la fois contre un ennemi extérieur et sollicite nos défenses psychiques pour inventer un avenir individuel et collectif possible.