Depuis dimanche 10 janvier, six hommes de 28 à 49 ans ont été hospitalisés après avoir testé une nouvelle molécule, le BIA 10-2474, principalement pour traiter la douleur et les trouble anxieux.
L’un d’entre eux est mort, quatre ont des troubles neurologiques dus à des lésions sans doute irréversibles, et un sixième, sans symptôme, a été hospitalisé par précaution. Pour le moment, aucune explication claire n’est avancée : réaction immunologique imprévue, toxicité aiguë de la molécule ou de l’excipient, contamination au cours de la fabrication ou de l’administration ? Personne ne sait, et, bien entendu, certains font retomber les torts sur les travailleurs les moins payés de la chaîne et évoquent une erreur de l’infirmière !
De fait, tout est possible, et c’est précisément là le problème : la longue chaîne de production et de fabrication, morcelée par les sous-traitants, éclatée dans différents pays et sous le contrôle d’entreprises privées qui ont tout intérêt à la réussite des tests, est hors de tout contrôle. Un cas d’école de l’absurdité du capitalisme mondialisé qui rend impossible d’attribuer des responsabilités, et donc de rendre justice : le laboratoire BIAL portugais fait conduire des essais cliniques par le laboratoire français Biotrial, prestataire de service, pour tester une molécule produite dans une usine hongroise, sur des travailleurs pauvres et des chômeurs transformés en cobayes à l’hôpital de Rennes.
Un conflit d’intérêts structurel
Le responsable ? Si c’est un problème lié à la molécule, comme une erreur de fabrication, de prescription ou un dysfonctionnement dans l’exécution du protocole d’administration du produit, ou si c’est une erreur dans l’administration du produit, alors la responsabilité de l’établissement qui a commis l’erreur est engagée. Mais il n’y a pas de dédommagement autre que financier qui serait envisagé à ce stade de l’enquête.
L’État ? Pour Marisol Touraine, qui a demandé une « note d’étape » à l’IGAS, il s’agit d’une erreur gravissime, mais surtout rarissime. Aucun problème structurel n’est à chercher, aucun autre essai clinique n’est à arrêter. Tout va bien, c’est un dérapage, ce n’est pas le symptôme d’un mode de production malade...
La marchandise ? Il s’agit d’une molécule de la classe des cannabinoïdes. Les recherches sur les substances anandamides ont commencé en 1993, et le laboratoire Sanofi s’est engagé à commercialiser l’Accomplia, une molécule du nom de rimonabant censée traiter en même temps l’obésité et le tabagisme, avant de déchanter : elle a été retirée du marché après que les patients avaient développé des tendances suicidaires.
Pourquoi cet essai clinique, comme tous les autres essais cliniques, a-t-il été conduit par l’entreprise elle-même, selon le principe d’un conflit d’intérêts structurel, et sans aucun contrôle indépendant qui réduit les contrôles publics à de la figuration ? Et a-t-on vraiment besoin d’une nouvelle molécule dans ces indications, qui bénéficient déjà d’un nombre important de médicaments efficaces ? Les indications mentionnées étaient si vastes qu’on ne peut que se demander si l’objectif n’était pas, purement et simplement, de gagner plus d’argent...
Karim Krebs