Publié le Vendredi 4 février 2022 à 12h00.

Formation des infirmières : un jeu trop sérieux

Initié en 2007, lancé depuis la rentrée 2018 et fruit d’une collaboration entre l’Agence régionale de santé (ARS) d’Occitanie et le Serious Game Recherche Lab, CLONE (pour CLinical Organizer Nurse Education) est un jeu de gestion à l’attention des étudiantes infirmières, destiné à leur apprendre à organiser les soins dans un service hospitalier.

Encore réservé aux Instituts de formation en soins infirmiers d’Occitanie, le « serious game » CLONE pourrait ensuite se développer dans tous les IFSI de France et même s’exporter à l’international. Le projet est né d’un constat sur le terrain : les jeunes infirmières rencontreraient des difficultés lors de leur première prise de poste. Pour l’équipe de développement de CLONE : « Les infirmiers sont en effet souvent isolés pour gérer beaucoup de patients avec une contrainte de temps permanente ; ils peuvent être vite débordés par le nombre de sollicitations s’ils manquent d’organisation ». Les mots sont posés : les infirmières ont une charge de travail trop importante pour trop peu de temps, mais pour l’ARS c’est un problème d’organisation. Selon l’ARS, si nous rencontrons des difficultés pour réaliser les soins dans les temps, si nous avons du mal à gérer des services entiers, si nous commettons des erreurs dans nos prises en charge, ce n’est pas à cause d’un manque de moyens ou de personnels. Ce n’est pas non plus dû à un mauvais encadrement en stage faute de référentes dans les services ou à une trop faible formation en doublure lors de nos prises de poste. C’est parce que nous sommes mal organisées.

Une erreur de traitement

Inévitablement, selon l’ARS, il faut donc nous apprendre à mieux nous organiser, pas en investissant sur nos terrains de stages, non. Mais en nous faisant jouer à un jeu de simulation. Une solution de facilité, reposant sur l’idée que la simulation devrait permettre des mises en situations « réelles » pour les étudiantes. Il n’en est rien. Le jeu ne gère pas les urgences, le matériel cassé ou manquant, les prescriptions qui tardent à arriver, les appels des proches, le nettoyage… Dans le jeu, les prises de constantes des patientEs ne prennent que quelques secondes, il n’y a plus de contact humain, une toilette complète au lit ne dure que 12 minutes, avec soins de nursing et changement des draps. Les plateaux repas sont magiquement distribués et nettoyés, les aides-soignantes obéissent simplement aux ordres de l’infirmière, il n’y a plus de collaboration. Dans ce monde merveilleux (selon l’ARS) il n’y a pas de raison que les jeunes infirmières n’y arrivent pas. Pas de raison d’être en retard ou d’éprouver des difficultés. Pas de raisons donc d’aller creuser en profondeur les causes du mal-être qui pousse plus d’un tiers des infirmières à changer de métier dans les cinq ans qui suivent l’obtention de leur diplôme, ce même mal-être qui a poussé 1 300 étudiantes-­infirmières à arrêter leur formation l’année dernière.

Finalement, ce jeu porte bien son nom, il s’agit de faire de nous des clones exécutants nos soins sans poser de questions. Un jour, à force de fermer des lits, de fermer des postes et de retirer l’humain de l’équation nous ne soignerons plus personne. Une solution : se mobiliser et faire grève pour une vraie amélioration de nos conditions d’études et de travail, pour que les années à venir ne ressemblent pas à leur simulation.