Publié le Mercredi 6 octobre 2021 à 12h30.

« Le gouvernement fait preuve d’ignorance et de désintérêt concernant le travail des psychologues »

Entretien avec Julia, psychologue.

Les assises de la santé mentale viennent de se terminer. En tant que psychologue, quel constat fais-tu de l'état de santé mentale de la population dans cette situation à la fois de crise sanitaire et de crise socio-économique ?

La santé mentale va mal. Environ 30% de la population souffre de troubles anxieux, dépressifs. Dans une situation inédite d’épidémie qui déclenche beaucoup d'inquiétude, de désorganisation psychique provoquées par les confinements successifs, s'ajoutent les angoisses de mort, la précarité qui augmente avec la perte de travail ou les mauvaises conditions dans lesquelles il est exercé. On est dans une sorte de burn out de la vie. Quant aux soignants, ils sont au bout du rouleau et traumatisés par les vagues successives de pandémie, on constate de nombreux syndromes de stress post-traumatique parmi eux.

Les demandes de prise en charge explosent, le temps d'attente pour obtenir un rendez-vous s'allonge. Des personnes en souffrance peuvent attendre plusieurs mois avant de pouvoir rencontrer unE psychologue.

Pour les enfants on a des délais d’attente en CMPP [centres médico-psycho-pédagogiques] qui sont d’un an voir plus. 

Les assises se sont terminées par une annonce de prise en charge pour tous d'un forfait de séances avec unE psychologue. Comment juges-tu cette décision ? 

En fait, c'est une atteinte supplémentaire au service public. Macron a annoncé qu'il y aurait 800 postes promis pour les centres médico-psychologiques (CMP), ce qui est très loin des besoins puisque cela ne représente même pas un mi-temps par CMP. Et ces postes ne concernent pas uniquement les psychologues. 

Donc, au lieu d’investir et de donner de vrais moyens au services public, on se reporte sur le secteur privé, d’où cette décision sur le remboursement de séances de psychothérapie. 

Mais pour bénéficier de ces séances, il faudra passer par une prescription médicale. C'est donc le médecin qui évalue s’il y a des troubles anxieux/dépressifs (critères d’ailleurs très précis qui excluent plein de troubles qui nécessiteraient aussi un suivi psy) et c’est la/le médecin qui décide si la démarche de son/sa patientE est nécessaire. 

Ça veut dire aussi qu’il faut avoir une bonne relation avec sa/son médecin pour parler avec elle/lui de sa santé mentale. Tout le monde n’a pas ce confort. C’est donc une étape, et pas des moindres, avant de commencer à prendre soin de sa santé mentale.

Il est prévu huit séances dans la loi. Donc, si on voit un psychologue à raison d'une fois par semaine ça fait deux mois. Cette prescription peut être renouvelée mais, de nouveau, il y aura obligation de retourner chez le médecin. On ne sait pas à combien de renouvellements on peut avoir droit. 

Disons qu’on peut voir un psy pendant quatre mois. C’est court, assez peu réaliste et met en lumière qu'il y a une méconnaissance de la pratique des psychologues. Huit séances, cela ne respecte pas la temporalité psychique de chacunE. 

Donc on rembourse des séances de psychothérapie mais on te suggère fortement qu’il est préférable d’aller mieux en huit séances et redevenir efficace pour la société 

Évidement, ce n’est pas étonnant, ce dispositif s’inscrit dans une politique publique de santé mentale menée par notre gouvernement qui est clairement orienté vers un modèle de société néolibérale et dont les valeurs sont la compétitivité, la productivité, le profit. 

En ce qui concerne le tarif de la consultation : la première séance est à 40 euros et les suivantes à 30 euros alors que normalement il faut compter 50 à 60 euros. Les dépassements d’honoraires sont interdits, donc tu dois trouver un psychologue qui applique ces tarifs. 

30 euros c’est insuffisant et totalement déconnecté de la réalité du métier de psychologue.

Après toutes les charges il te reste une quinzaine d’euros. Si tu veux gagner a peu près correctement ta vie tu vas devoir enchainer une grosse dizaine de patientEs par jours. 

Mais c’est impossible de travailler correctement dans ces conditions, les psychologues vont juste être épuisés, inattentifs et donc probablement pas très efficaces avec tes patientEs. 
C’est ce genre de soin que le gouvernement veut pour les personnes précaires et ça précarise les psychologues énormément. 

Tout ceci montre une énorme ignorance et surtout un désintérêt de ce qu'est le travail d’un psychologue.

Ça fait quand même deux ans que c’est en expérimentation, et encore plus longtemps que le gouvernement discute avec des professionnels de la santé mentale, mais ils arrivent quand même à pondre des propositions complètement à côté de la plaque. 

En conclusion, quel est ton constat pour la psychologie et la psychiatrie ?

Le constat c'est la destruction aussi bien de la psychiatrie que des CMP : pas de moyens, manque de formation, on soigne mal et on maltraite.

Abandon de la psychiatrie qui crée des conditions de prise en charge catastrophique et donc de la violence médicale : moins on a de personnel et de moyens, moins on a le temps de prendre soin des patientEs, de parler, d’écouter, de comprendre et de s’ajuster. Donc quand on n’a pas le temps on finit par céder a des méthodes violentes de camisole physique et chimique et d’isolement au moindre débordement. 

Par exemple il y a ce psychiatre, Mathieu Bellhasen, qui a été démis de ses fonctions, notamment par ce qu’il a refusé de mettre en isolement 72 heures systématiquement les patientEs à leur admission, voire qu’ensuite on les enferme dans leur chambre pendant les confinement.

Voilà c’est ça le soin psychiatrique pour le gouvernement : contrôler, enfermer. 

Et là, non seulement on abandonne le service public en extériorisant le soin vers le libéral, mais en plus, on en profite pour précariser les psychologues en libéral. 

C’est hyper violent ce mépris du gouvernement quand tu as traversé les nombreuses vagues où des milliers de psys, dont on a tout d’un coup reconnu l’intérêt, ont bossé gratuitement pour soutenir la population, par des permanences bénévoles, en ne comptant pas leur heures sup’ dans leur service, etc. 
C’est le même mépris que se prennent les soignants après avoir été héroïsés.