Publié le Lundi 26 septembre 2022 à 12h22.

Santé publique : "Il est plus qu’urgent d’améliorer nos conditions de soins et de vie au travail."

Cet entretien a été mené par nos camarades avec une infirmière en CHU en région, elle a accepté de répondre à nos questions sur l'état de l'hôpital public et du système de santé et sur la journée de mobilisation nationale appelée le 22 septembre dernier. 

La situation dans les hôpitaux est dramatique et s'y rajoute ce phénomène de démissions : comment est-ce vécu par les équipes et qu'est-ce qui est mis en place pour y faire face ? Est-ce satisfaisant ?

Oui, la situation est dramatique, jamais vécue à ce point. Même les services épargnés jusqu’à présents sont touchés. Les absences sont de moins en moins remplacées et il est fréquent de se retrouver en sous-effectif. Les équipes font face et se démènent pour assurer malgré tous les soins techniques et humains. Elles tiennent un temps, revenant sur les repos, assurant toutes les tâches puis finissent par s’écrouler quand la situation perdure. Elles se mobilisent alors et les unes après les autres s’organisent et se mettent en grève pour tirer la sonnette d’alarme et dire stop. Les directions lâchent alors un peu de lest pour éteindre l’incendie et éviter qu’il se propage mais ce n’est jamais à la hauteur et surtout, jamais par des mesures sur le long terme. Quelques mensualités de remplacement en plus, de l’intérim ou des heures supplémentaires qui explosent mais aucune mesure pérenne d’augmentation d’effectifs. Ce n’est évidemment pas satisfaisant. Les départs se multiplient et les recrutements se raréfient. Les collègues ne veulent plus bosser comme ça, exécutant à la chaine les taches, sans humanité, pour des salaires au rabais, sous contrats précaires, avec des horaires décalés et sans pouvoir se reposer.

Les directions et les tutelles se satisfont avec cynisme de ces situations. Elles en profitent pour casser un peu plus les droits et les acquis comme, par exemple, la mise en place des 12h, la limitation de la prise des congés ou même le bénévolat pour certaines tâches (et oui, on aura tout vu). Bref, elles en profitent pour augmenter les cadences et pour nous habituer à faire toujours plus avec moins, appliquant ainsi sans états d’âme les politiques d’austérité passées et à venir, imposées par le gouvernement. Rien n’est fait concrètement pour garder les personnels, comme augmenter réellement les salaires au lieu d’octroyer des primes qui divisent, ou augmenter un point d’indice qui ne compense même pas son gel depuis des années, ou embaucher sous statut au lieu de multiplier les contrats précaires. Rien n’est fait pour humaniser les soins alors que c’est essentiel dans nos métiers. Il est plus qu’urgent d’améliorer nos conditions de soins et de vie au travail.

Quelles sont tes réactions à propos du rapport de F. Braun. Quelles sont les conséquences sur le fonctionnement de l'hôpital et aussi sur celui du Samu qui doit maintenant orienter les demandes vers des solutions alternatives !

Comment dire….. Du vent, rien de concret sur la réalité du quotidien vécu dans les services. Même l’association qu’il présidait l’a contredit sur son satisfecit. Le nombre d’urgences fermées partiellement ou totalement n’a jamais été aussi haut. Les délais de prise en charge téléphonique par le samu surchargé ont augmenté, créant ainsi des risques quant à la prise en charge des urgences vitales. Quant aux solutions alternatives, encore faut-il que la médecine de ville ou les services de soins à domicile soient en capacité d’agir, ce qui n’est pas le cas. Là aussi les manques existent et les sous effectifs sont prégnants. Il est clair que beaucoup renoncent aux soins. L’hôpital et les urgences sont souvent le dernier recours face aux déserts médicaux.

Il faut mettre des milliards sur la table pour renforcer les effectifs, former de nouveaux collègues, améliorer les conditions de travail, rouvrir des lits et places en aval et les établissements ou services fermés.

Comment s'est préparée la mobilisation du 22 et aujourd'hui quel bilan en fais-tu ?

Pas aussi bien qu’on aurait souhaité. Pour autant, des mobilisations visibles ont eu lieu qui ont permis de mettre en lumière la difficulté des hôpitaux. Il a manqué un appel national unitaire associant syndicats, collectifs et usagerEs qui auraient permis de se mobiliser toutes et tous au même moment et au même endroit, qui aurait encouragé les collègues à se dire « on y va ensemble et en force ». La situation est suffisamment catastrophique pour se mettre toutes et tous autour d’une table et réfléchir collectivement à comment faire. On n’a pas d’autres choix. Cela fait inévitablement penser à la formidable mobilisation de juin 2020 au sortir du 1er confinement qui avait d’ailleurs pesé dans l’obtention des revalorisations salariales. Il aurait alors fallu continuer pour obtenir plus de moyens pour la santé publique et non pas signer ce Ségur insuffisant et diviseur qui a stoppé la mobilisation.

Est-ce que tu sens que tes collègues et plus largement l'ensemble des soignants sont plus concernés par la mobilisation interprofessionnelle du 29 septembre ? Est ce que celle-ci pourrait permettre de créer un mouvement encore plus important de remise en cause du fonctionnement actuel dans les hôpitaux ?

Pas facile à cette heure de se prononcer. Les revalorisations issues du Ségur et la hausse du point d’indice se voient sur la fiche de paie à la fin du mois même si c’est insuffisant et pas pour tout le monde. Mine de rien ça pèse pour mobiliser sur cette question. On voit la même chose dans le secteur social et médicosocial. Pour autant, ces revalorisations ne vont pas tenir face à l’inflation et la hausse du prix de l’énergie. Les excluEs font également entendre leur voix çà et là. A suivre le 29... Mais une seule journée ne suffira pas, cela ne peut être qu’une étape vers une mobilisation plus large et sur la durée.