La seconde phase du déconfinement, le 9 juin, va s’accompagner de la mise en place du « pass sanitaire », introduit en catimini, dans un amendement, par le gouvernement, rejeté puis finalement approuvé par le Parlement.
Le « pass » est présenté par le pouvoir comme un outil essentiel, accompagnant la généralisation de la vaccination pour le retour à la « vie d’avant » : réouverture des lieux de culture, de sport, de convivialité, de fête, possibilité de voyager, tout en évitant une nouvelle flambée de l’épidémie. Support de ce « pass », l’application « Tousanticovid » deviendrait le nouveau sésame d’un déconfinement sûr, en remplissant trois fonctions différentes.
Accès à des lieux et évènements
Au plan national, le « pass sanitaire » viserait à réduire le plus possible les contaminations dans des lieux et à l’occasion d’événements où le risque de diffusion massive du virus est élevé. L’accès en serait réservé aux personnes pouvant prouver grâce au « pass » qu’elles sont vaccinées, ont fait un test négatif récent ou sont devenues non contagieuses, après avoir été infectées.
Pour faire accepter la mesure, le gouvernement en a limité l’application. Le pass sera obligatoire pour accéder à des établissements ou rassemblement qui accueillent plus de 1 000 personnes (salles de spectacles, foires-expositions, festivals…). Les stades, les établissements sportifs couverts ou les bateaux de croisière sont également concernés.
La mesure ne s’applique pas, à cette étape, aux établissements plus petits (restaurants, cinémas, lieux culturels…). La loi interdit aux établissements non visés de faire usage de l’application « Tousanticovidverif » (en libre accès) pour s’assurer de la validité d’un pass sanitaire. Les sanctions prévues en cas d’abus restent toutefois des plus floues. Comme l’ont dénoncé des députés d’opposition, la liste des établissements autorisés à utiliser le « pass » est fixée par décret, ce qui laisse les mains libres au pouvoir pour la modifier à sa guise, étendre et prolonger le dispositif, censé s’arrêter à l’automne.
On peut par ailleurs craindre l’extension d’une utilisation non légale d’une application en accès libre, tant dans des établissements accueillant du public, que de la part d’employeurs voulant s’assurer de la « bonne santé » de leurs salariéEs. Là encore, pour faire « passer la pilule » la possibilité, existe, pour l’instant, de présenter une version « papier » du « pass ».
Chaînes de contamination
Une nouvelle fonction, « Signal », s’intègre à l’application « Tousanticovid » : le « carnet de rappel numérique ». Les clientEs d’un café, restaurant, salle de sport… pourront à leur entrée scanner un QR code pour signaler leur présence. Si unE autre clientE, s’étant signalé pendant la même période s’avère être positif dans les jours qui suivent, la personne sera immédiatement prévenue pour se faire tester.
Là encore, la loi prévoit une alternative « papier », sous forme d’un cahier tenu à jour par l’établissement.
La 3e fonction du « pass sanitaire » est internationale. L’application Tousanticovid servira de passeport sanitaire pour voyager à l’étranger. Elle permettra, en particulier, partir du 1er juillet, une circulation plus facile au sein de l’Union européenne, et la limitation des mesures de quarantaine.
« Caractère temporaire du dispositif » ?
Pourtant très accommodante, la CNIL (Commission nationale informatique et libertés) a exigé, en vain, des précisions sur « les finalités, la nature des lieux, établissements et événements concernés », ainsi que « la nécessité de s’assurer du caractère temporaire du dispositif ».
La promesse de voir le pass disparaitre à l’automne, alors que l’épidémie est loin d’être derrière nous, est aussi crédible que les annonces à répétition du pouvoir de mettre fin à « l’état d’urgence sanitaire » une nouvelle fois prolongé jusqu’à l’automne.
Le plus probable, au contraire, est que les possibilités de surveillance de masse de la population, introduites au nom de la lutte contre l’épidémie, soient pérennisées voire élargies, de même que la collecte massive de nos données personnelles de santé, et leur utilisation à des fins n’ayant rien à voir avec l’intérêt général. Tout cela alors que l’efficacité des applications de ce type est plus que sujette à caution. En effet si 22 % de la population européenne a bien téléchargé une application de ce type, seulement 4,7 % des cas détectés y ont été enregistrés.
Contrôler et mettre sous surveillance ceux qui nous surveillent et nous contrôlent ?
Sans que cela semble susciter de vague d’indignation, la dernière émission de France 2, « Cash investigation », a démontré l’ampleur de cette appropriation des données de santé par des entreprises privées qui les revendent ensuite à tous ceux qu’elles peuvent intéresser.
L’émission révélait qu’avec l’accord de la CNIL, toutes les informations collectées chaque fois que nous utilisons notre carte Vitale, sans que notre accord soit même demandé, étaient transmises à IQVIA, la principale entreprise mondiale de collecte et de revente des données de santé. Cerise sur le gâteau, le PDG de la branche française de cette entreprise, J.M. Aubert, a repris ses fonctions après avoir piloté, au ministère de la Santé, la mise en place du Health data hub, outil de centralisation de l’ensemble des données de santé du pays !
L’émission révélait enfin que la prétendue « anonymisation » des données n’était qu’un leurre, et démontrait comment, à partir de quelques éléments faciles à se procurer, il était aisé de retrouver le nom d’une personne. On voit tout l’intérêt qu’assureurs, employeurs, établissements de crédit… peuvent tirer de telles informations
Au-delà des résistances individuelles, consistant à fournir le moins de données possible au « Big Brother » de la santé, la question de la lutte pour un contrôle citoyen, sur l’appropriation, l’utilisation, la protection de nos données de santé devient un combat politique essentiel.