Publié le Jeudi 28 juin 2018 à 11h51.

SNCF : un conflit défait ou victorieux ? Terminé ou juste entamé ?

Après trois mois de lutte et malgré l’érosion des taux de grève dans les dernières semaines, en particulier en région parisienne, l’intersyndicale cheminote CGT-CFDT-UNSA peut se féliciter d’avoir mené jusqu’à sa dernière séquence des 27 et 28 juin sa grève « dure et longue », sur calendrier de deux jours sur cinq, commencée le 3 avril. 

Quel bilan à cette étape et alors que gouvernement et direction de la SNCF se flattent d’avoir fait adopter leur « pacte ferroviaire » ? Tout serait-il ficelé et emballé ? Loin de là. Neuf cheminotEs sur dix ont participé à cette grève, à un moment ou à un autre. Les attaques de Macron et Pépy continuent à être vomies. D’où les médias, surtout pro-patronaux, de s’inquiéter des conséquences d’un conflit qui a encore creusé le fossé entre des dizaines de milliers de cheminotEs et leur hiérarchie. Climat dégradé, oui. Mais pas une raison de pleurer, pour les cheminotEs. Paradoxalement, à la suite de cette grève qui n’a pourtant pas fait céder le gouvernement et le patronat, le rapport de forces en faveur de leur communauté combative en sort renforcé.

La question lancinante de la vraie grève

Le gros des cheminotEs a largement suivi cette grève perlée, concoctée par l’intersyndicale pour s’aligner sur le calendrier de négociations et discussions parlementaires. Un rythme trop tranquille et routinier pour bousculer comme il l’aurait fallu. Des noyaux et équipes combatives ont essayé de déborder ce cadre convenu en appelant à une vraie grève qui à la fois leur aurait permis d’avoir des assemblées générales plus massives et démocratiques, aurait donné un signal bien plus fort pour le ralliement d’autres secteurs, parce qu’elle n’aurait pas été en pointillé. Cette minorité de cheminotEs, dans les différents syndicats et chez les non-syndiqués, qui a tenté de passer outre  ce calendrier, n’y a pas réussi mais a néanmoins imprimé au mouvement beaucoup de sa pugnacité et de sa ténacité. Si le secrétaire général de la CGT-cheminots, Laurent Brun, a pu ironiser sur la faiblesse de cette minorité, c’est que son influence ne lui avait pas échappé ! Et c’est cette minorité qui pour beaucoup, parce qu’elle était tous les jours en grève reconductible, a organisé le gros des actions en direction de collègues et d’usagerEs. Elle qui sur la région parisienne a été à l’origine d’une inter-gares, rendez-vous quasi-hebdomadaire stimulant de discussions et d’organisation d’actions. 

Et maintenant ?

La grève « sur calendrier » touchant à sa fin et à un constat d’échec si on s’en tenait à son résultat, les leaders de la CGT et de SUD-Rail appellent à poursuivre par de nouvelles journées, en ciblant seulement pour l’heure les vendredi et samedi 6 et 7 juillet, jours de premiers grands départs en vacances. Les directions de l’UNSA et de la CFDT ont annoncé qu’elles n’en seraient pas, ce qui n’a pas fait le scoop, bien des grévistes se demandant depuis longtemps si elles en avaient jamais été !

Mais par delà les annonces quelque peu tonitruantes des directions de la CGT et de SUD sur la poursuite du mouvement, prises par bien des cheminotEs comme des rodomontades de circonstance, le milieu combatif du rail est très conscient des batailles nécessaires qui s’annoncent pour l’avenir. Les restructurations internes, nécessaires à la mise en concurrence des cheminotEs et à la casse de leur réglementation et de leurs conditions de travail, vont se poursuivre : tarissement et désormais fin de l’embauche au statut, précarisation et réduction drastique d’effectifs, pour raisons d’« économies », qui ont déjà amené à des catastrophes comme celle de Brétigny par exemple. 

Des infos viennent de fuiter sur le fait que les directions d’établissements de conducteurs d’Île-de-France réfléchissaient à dénoncer prochainement tous les accords locaux. Aussitôt ont eu lieu des réactions et assemblées spécifiques de conducteurs. À la suite de quoi, sans nier farouchement, les directions se sont faites prudentes…

Pour des journées interpro sans dispersion

À la veille de l’été, la perspective que les cheminotEs soient rejoints dans la lutte par un autre secteur du monde du travail s’est considérablement amenuisée. Personne n’ignorait que c’était la condition essentielle pour gagner le bras de fer contre Macron. La prétendue journée interprofessionnelle du 28 juin, après que les fédérations cheminotes et autres avaient appelé à des rendez-vous séparés ce printemps, en particulier le 22 mai, ne fait pas rêver ! Les cheminotEs restent pourtant attentifs à ce qui se passe ailleurs : la nouvelle de la grève à EdF a été commentée et, dans plusieurs dépôts, des premiers contacts ont été pris entre cheminotEs mobilisés et électriciens. Ce qui confirme l’absence de corporatisme de cette grève. Avec ou sans nouveaux points forts en juillet et août, la rentrée de septembre se fera à l’aune des acquis de la grève : combativité et conscience d’être la lutte d’un même monde du travail, qui doit faire front aux sales coups du gouvernement, en particulier à la prochaine réforme des retraites. Macron, qui jouait les gros bras en mars et parlait même en coulisses de s’offrir le scalp des cheminotEs, sort de cette grève cheminote avec un statut d’homme détesté ! Il peut certes se prévaloir d’un bon score institutionnel, sa majorité parlementaire de béni-oui-oui ayant entériné sa politique anti-ouvrière, mais dans le pays réel, dans le milieu ouvrier majoritaire et dans la jeunesse qui en est solidaire, les haines se sont accumulées. Les cheminotEs n’ont certes pas été largement suivis dans leur grève de ce printemps, mais leur combat a été plébiscité, ce qui est malgré tout une victoire.

CorrespondantEs