Le coronavirus est arrivé en Italie. Il a directement atteint le cœur de cette Europe riche et aseptisée, enjambant les pays pauvres, en faisant la nique à cette Europe barricadée contre les migrantEs et les réfugiéEs. Les virus, comme le changement climatique ou les nuages toxiques, n’ont pas de frontières.
Ces considérations mériteraient déjà à elle seules des pages et des pages et il en faudrait bien davantage pour décrire les effets que la peur, beaucoup plus que le virus lui-même, est en train de provoquer dans le pays. Et comme la situation change d’un jour sur l’autre et qu’il est extrêmement difficile de faire des prévisions, nous voudrions seulement en souligner quelques aspects.
Catastrophe économique
On dirait que la maladie et sa diffusion ont quelque chose à voir avec une vengeance divine : le Covid19 a atterri au centre de la zone de production la plus importante du pays – l’épicentre est en Lombardie mais la Vénétie, le Piémont et aussi l’Émilie-Romagne sont les autres régions les plus touchées ; dans les trois premières, la Ligue de Salvini a obtenu la majorité absolue ; ce sont aussi les régions qui produisent 40 % du PIB italien.
Les mesures de confinement du virus, au-delà des polémiques pour savoir si elles sont adaptées ou non ou combien d’entre elles sont contradictoires, sont pourtant en train d’avoir les mêmes conséquences et les mêmes dynamiques que celles qui – à une beaucoup plus grande échelle – ont été prises en Chine, c’est-à-dire la paralysie partielle des flux économiques et productifs de la zone la plus industrialisée et la plus riche du pays.
Seuls les événements des prochaines semaines et des prochains mois révèleront le degré de gravité de cette crise sanitaire. Ce qui est sûr, c’est que les secteurs les plus vigilants de la bourgeoisie italienne savent déjà qu’elle représente une catastrophe pour leurs poches et ils réclament à grands cris d’être sauvés. La bourse italienne est en chute libre ; il est question d’une baisse drastique du PIB national dans les prochains mois et, ce qui est plus préoccupant et même inquiétant, de la disparition de 60 000 postes de travail et de 15 000 petites entreprises. C’est pourquoi, rappelés à l’ordre par le monde des affaires et de la finance, le gouvernement et les médias ont immédiatement changé d’orientation et laissent maintenant entendre que la crise n’est pas aussi grave que ça, au contraire... Ils sont en train d’adoucir quelques-unes des mesures de confinement et de faire de vagues promesses. Mais beaucoup commencent à craindre que les contre-mesures – non pas par rapport au virus mais par rapport à l’économie – n’aient rien à voir avec ça.
Privatisation sauvage de la santé
L’extension du chômage technique aux travailleurEs mis en quarantaine, les congés forcés et les licenciements constitueraient, semble-t-il, les premières mesures, ainsi que la recherche de financements publics substantiels. Tout faire pour perdre le moins possible. Le système capitaliste, avec son inhumanité et son profond égoïsme déguisés en « bien du pays et du progrès » réussira probablement à faire plus de dégâts que le coronavirus. Car il faudrait aussi évoquer la situation difficile dans laquelle se trouve la santé publique italienne à qui l’on a prélevé, en dix ans, à peu près 40 milliards d’euros. Même s’il ne l’a pas fait exprès, le virus, justement, a commencé son voyage italien en Lombardie, la région qui, plus que toute autre, a connu ces dernières années une privatisation sauvage de la santé, où une douzaine d’entreprises se partagent quasiment la moitié du « business » sanitaire et où la gestion chaotique des urgences a été critiquée par le Président du Conseil lui-même. Alors qu’on aurait besoin d’un service public efficace et général (il manque 50 000 infirmierEs et d’autres dizaines de milliers de soignantEs dans tout le pays, des lits, des salles de réanimation), on s’aperçoit qu’on nous l’a volé et que les travailleurEs de ce secteur font de vrais miracles afin de limiter les dégâts provoqués par une crise sanitaire sans précédent.
Grèves annulées
En attendant, des grèves prévues (comme celle de l’éducation le 6 mars) ont déjà été annulées par le gouvernement et les syndicats en prétextant la situation d’urgence créée par le virus. On en est au point où la grève des femmes du 9 mars, à laquelle s’étaient déjà opposés les syndicats majoritaires, est elle aussi en danger : les autorités chargées de faire appliquer la loi sur la grève l’ont interdite pour presque toutes les catégories et presque tous les secteurs. On peut se demander si, au nom d’une prétendue unité nationale contre l’épidémie, on n’est pas en train d’essayer de faire passer des règlementations et des comportements autoritaires qui pourraient plus tard briser la résistance du mouvement ouvrier, qui est déjà plutôt le dos au mur. Il n’existe aucun complot international concernant le Covid19, c’est sûr, mais certains commencent à l’utiliser comme un cheval de Troie, soit pour laminer encore plus les salaires et les droits, soit pour en avoir un gain politique immédiat.
Ces premières leçons tirées de l’arrivée du coronavirus en Italie sont importantes : elles serviront probablement de modèle pour les bourgeoisies et les États des autres pays européens qui seraient atteints par le virus.
Traduit de l’italien par Bernard Chamayou