Publié le Jeudi 31 octobre 2019 à 11h46.

Droit de retrait : en toute légitimité

Édouard Philippe, Muriel Pénicaud, Jean-Baptiste Djebbari… la semaine dernière, les ministres ont défilé pour monter au créneau contre l’utilisation massive par les cheminotEs de leur droit de retrait et dénoncer une « grève illicite » à grand renfort de mauvais arguments juridiques. L’exercice a atteint son apothéose avec la citation tronquée par Pénicaud, sur la matinale de France Inter, de l’article du Code du travail concernant le droit de retrait.

Mais plus que les controverses de juristes, ce qui déclenche une telle hystérie chez nos dirigeants, c’est bien la capacité des travailleurEs d’un secteur stratégique à cesser le travail en masse et inopinément malgré toute les restrictions apportées au droit de grève. 

Des limitations à combattre

Contrairement aux idées reçues, le droit de grève dans la fonction publique et les entreprises à statut, dont la SNCF, est beaucoup plus restreint que dans le secteur privé. Alors que la cessation collective du travail n’est subordonnée dans le privé qu’à la présentation à l’employeur des revendications, par la remise d’un tract par exemple, dans le public elle doit être précédée du dépôt d’un préavis au moins cinq jours avant le début du mouvement, ce qui interdit tout débrayage spontané. À ce délai s’ajoute une autre limite qui consiste à frapper les grévistes au portefeuille. Depuis 1987 (merci Chirac !), les fonctionnaires d’État subissent systématiquement le retrait d’une journée de salaire même si la durée réelle de la grève est inférieure. Cette règle, dite du « trentième indivisible », existe également sous une forme atténuée pour les salariéEs des entreprises à statut. Ces restrictions de portée générale sont complétées par des contraintes sectorielles. Les salariéEs des transports doivent, depuis 2007, déclarer individuellement leur intention de cesser le travail au plus tard 48 heures avant la grève. Et la loi prévoit pour certaines activités l’organisation d’un service minimum (hôpitaux, collecte des ordures, aide aux personnes âgées), voire la réquisition des grévistes !

Ces restrictions cumulées constituent une arme formidable pour les employeurs publics et assimilés, qui peuvent ainsi anticiper l’ampleur de la grève, re-déployer le personnel non gréviste pour en limiter les effets, voire l’empêcher totalement en pratique comme c’est le cas actuellement dans les services d’urgences. 

Droit à la santé et à la sécurité au travail

Si elles ne mettent évidemment pas fin aux grèves, les limitations croissantes poussent la lutte des classes à prendre parfois d’autre voie, légales ou non. Le droit de retrait en est une. Créé en 1982 par les lois Auroux, il permet à toutE salariéE de « se retirer de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé », sans que l’employeur ne puisse en théorie amputer son salaire ou le sanctionner. Dans la vraie vie, l’usage de ce droit est limité par les hésitations à contester le pouvoir du patron ou du petit chef, mais aussi parce que les capitalistes le contestent quasi systématiquement, pratiquent des retraits sur salaire et laissent aux salariéEs et à leurs syndicats le soin de saisir le juge pour obtenir réparation. 

Sa mise en œuvre semble toutefois se développer : l’enquête Surveillance médicale des expositions aux risques professionnels (Sumer) réalisée en 2010 indiquait que 12 % des salariéEs en moyenne avaient refusé ou interrompu une tâche pour préserver leur santé au cours des douze derniers mois. La même enquête soulignait que ces refus impliquent simultanément plusieurs salariéEs dans un cas sur deux. 

Son utilisation par les cheminotEs à une échelle sans précédent pourrait amener bien d’autres travailleurEs encore à s’en emparer. Les travailleurEs de la SNCF ont en effet réussi par ce biais à stopper presque complètement et instantanément la circulation ferroviaire, à remporter une bataille dans l’opinion malgré le matraquage médiatique, et à obtenir dans la région concernée par l’accident un accord satisfaisant leurs principales revendications en matière de sécurité pour eux-mêmes et les usagers.  

Comité inspection du travail