Publié le Samedi 4 juin 2011 à 20h09.

Droit à l’autonomie contre la dictature des profits

Le gouvernement avance avec assurance(s)

Pas une semaine sans rumeur ou déclaration pour marteler que le président s’occupe des personnes âgées en perte d’autonomie. L’échéance de la présidentielle vaut bien un air de compassion, ou l’art de faire croire qu’on va aider les personnes en perte d’autonomie en les étranglant. Financièrement. L’exercice est périlleux. D’où des formules prudentes de Roselyne Bachelot. Le recours sur succession, impopulaire, serait momentanément écarté1 ; Apprécions le conditionnel, tant il est vrai que, au final, Sarkozy décidera. Il n’y aurait plus d’assurance spécialisée obligatoire. Mais les frères Sarkozy ont dans l’idée de s’appuyer sur l’assurance vie convertible en rente dépendance. Les avantages fiscaux qui y sont attachés seraient donc de nature à développer les souscriptions. Certainement au prix d’une augmentation des prix des contrats et de diverses mesures de restrictions de la rente, surtout pour les dépendances les moins fortes2 (GIR 43), à moins de payer cash. Et on peut ainsi aider les personnes à faire le « bon choix ». Derrière quelques aménagements pré-électoraux, le crédo libéral reste intact : pousser à l’assurance individuelle, pas touche aux profits, pas d’augmentation de la dette publique. Ce qui contredit brutalement les propos de Bachelot qui dit vouloir « rester sur un socle de solidarité massif ». La quadrature du cercle comme écrit le Figaro. L’augmentation de la CSG, y compris pour les retraités (le chiffre de 0,1 % est évoqué), reste dans les tuyaux. La deuxième journée de travail gratuit est en débat mais pas abandonnée4. Et silence radio sur la proposition, contenue dans le rapport Rosso-Debord, de supprimer l’APA pour le 1er niveau d’aide, le GIR 4, soit 59 % des personnes âgées dépendantes à domicile et représentant 40 % de la dépense à domicile en 20095. Ce qui inquiète à juste titre les associations.

Même l’inscription du « 5e risque » dans le cadre de la Sécurité sociale ne serait plus sûre. Ce qui n’enlève rien à la volonté de démanteler la Sécu, en restreignant son périmètre au profit des assurances individuelles. Le noyau dur de la réforme progressera, Sarkozy est un fidèle et pugnace serviteur des intérêts des capitalistes. La vie des individus ne vaut que ce que cela peut rapporter comme profit pour les capitalistes. Nous y opposons un autre projet de société, dans lequel notre santé, nos capacités de vivre en société sont des priorités absolues. Ces hésitations verbales, et encore mieux si les reculs évoqués se confirment, témoignent malgré tout de la fragilité relative de ce gouvernement qui n’est fort que des faiblesses de la mobilisation sociale. C’est donc à celle-ci qu’il faut s’atteler, le plus unitairement possible, avec tous les partis, les syndicats, les associations qui veulent garder et développer la Sécurité sociale, qui refusent de brader nos vies aux assurances privées sous quelque forme que ce soit, pour développer un véritable service public de l’autonomie. Il faut tout à la fois sensibiliser la population sur les mauvais tours qui se préparent, avancer des contre-propositions et organiser la mobilisation concrète. Sans perdre de temps. Le projet sera présenté au plus tard avec la loi de financement de la Sécurité sociale, cet automne. C’est demain. Il n’y a pas une minute à perdre. Et il faudra continuer quel que soit le gouvernement en place après la présidentielle.

Daniel Desme1. Le Figaro Économie, 12 mai 2011.2. Ce qui est d’ailleurs déjà le cas dans beaucoup de contrats d’assurance dépendance existants.3. Les six groupes iso-ressources (GIR) permettent de classer les personnes en fonction des différents stades de perte d’autonomie. 4. À la suite d’un arrêt récent de la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel va devoir se pencher sur la constitutionnalité de cette loi.5. DREES, Études et résultats, octobre 2010.

Satisfaire les besoins sociaux, pas les profits

En contraignant à souscrire, de fait ou en droit, une assurance privée perte d’autonomie, gouvernement et patronat préparent la privatisation de la Sécurité sociale. Fillon l’a déjà annoncé fin 2010 : « la modernisation de la Sécu s’impose à nous. Nous avons commencé avec la réforme des retraites. Nous ne devons pas laisser dériver les comptes de l’assurance maladie par démagogie ». Donc, on commence par la dépendance et, ensuite… En effet, les cotisations sociales sont depuis toujours considérées par le patronat comme une « charge » insupportable.

Or, ce que l’on met au pot commun de la Sécurité sociale par nos cotisations sociales (patronales comme salariales), c’est une part importante de notre salaire, un salaire collectif, socialisé, pas un impôt. Il permet de contribuer à la prise en charge de certains besoins sociaux de chacun et de tous (maladie, retraites, famille…), de la naissance à la vieillesse, hors de la sphère de la marchandise.

Depuis 30 ans maintenant, attaques après attaques, tous les gouvernements ont diminué cette prise en charge, obligeant la population à souscrire des assurances pour compléter les remboursements ou des retraites complémentaires privées ou des fonds de pension pour ceux qui peuvent se les payer. En transférant la prise en charge des conséquences du vieillissement vers les assurances privées, patrons et gouvernement poursuivent leur lutte pour la baisse des salaires qui fait que depuis 30 ans, 10 % des richesses produites ont été transférés des salaires vers les profits. Sur nos feuilles de paie, quand la part, dite salariale, des cotisations augmente, cela diminue notre salaire disponible pour la vie courante. En revanche, les cotisations patronales diminuent globalement par l’intermédiaire d’exonérations diverses. Ce qui permet ensuite de nous expliquer qu’il n’y a plus d’argent dans les caisses de la Sécu pour les retraites, la santé, la dépendance….

Pour y répondre, le PS défend l’idée qu’il faudrait augmenter la CSG (payée à 80 % par les salariés), voire de l’intégrer dans les impôts1. En somme, face au prétendu trou de la Sécu, ils répondent par un financement par l’impôt qui taxera notre salaire direct et nous en dépossédera. Certaines organisations du mouvement social pensent qu’il faut taxer les revenus des riches pour trouver des sources de financement supplémentaires. C’est oublier un peu vite que les profits réels peuvent être brouillés dans les comptes des entreprises. Par ailleurs, les impôts n’ont pas d’affectation a priori. Il sera donc très difficile d’en contrôler l’usage. Le meilleur moyen de s’en prendre aux profits est d’augmenter les salaires directs et socialisés. Tout le reste est répartition de la dépense sur les épaules des salariés, retraités…

Pour d’autres, la perte d’autonomie n’étant pas créée par les entreprises, elles ne devraient pas payer seules (via les cotisations sociales). D’où l’idée de faire contribuer tous les revenus, sous des formes différentes, notamment éventuellement par une CSG « rénovée ». Si tel est le critère, il y a pas mal de besoins qui ne vont plus relever des cotisations sociales. Les enfants ne sont pas créés par les entreprises, exit les cotisations familiales, payées très largement par les cotisations patronales. Se casser une jambe en vacances, non plus. Et toutes les grippes ne sont pas dues à l’exploitation capitaliste. La lutte pour le droit aux soins pour tous, et en particulier pour les personnes âgées, est avant tout une lutte pour notre salaire socialisé que le patronat ne veut plus payer et contre les assureurs qui veulent faire main basse sur ce pactole pour augmenter leurs profits au détriment de nos besoins.

Bien sûr le NPA s’oppose au projet du gouvernement. C’est bien une augmentation de notre salaire socialisé que nous devons revendiquer en exigeant l’arrêt des exonérations de cotisations patronales, l’augmentation des salaires de 300 euros net pour tous et un revenu minimum de 1 500 euros net, l’arrêt des licenciements et des suppressions de postes, autant d’argent qui renflouera les caisses de la Sécu.

C’est un autre projet de société que nous défendons, une société où la santé, les moyens d’une vie digne, passent avant les profits. Comme pour les retraites, la maladie, la prise en charge de l’aide à l’autonomie est une question de répartition des richesses. L’imposer passe par la lutte pour un service public gratuit, avec du personnel qualifié, de statut public et financé à 100 % par la Sécurité sociale avec les cotisations sociales.Pour cela, la bataille qui s’est engagée dès maintenant est d’ampleur et le restera quel que soit le gouvernement en place en 2012. 1. La CSG rapporte plus que l’impôt sur le revenu, toutes catégories confondues. Landais, Piketty, Saez, Pour une révolution fiscale. Seuil, p.44.

Assemblée des départements de France : les assurances, non mais…

Les conseils généraux sont concernés en première ligne par l’aide à la perte d’autonomie (APA), dont ils supportent autour de 70 % des frais alors que l’État s’est de plus en plus défaussé du financement. Aussi, viennent-ils de faire paraître 55 propositions pour régler cette prise en charge.

Ils remettent en cause l’alarmisme gouvernemental. Il n’y a pas de proportionnalité constatée entre vieillissement et perte d’autonomie. Au sens actuel de l’APA, on passerait de 1,1 million de personnes concernées actuellement, à environ 1,4 ou 1,5 en 2030. Ce n’est « insoutenable ni socialement ni financièrement »1. Les propositions balancent entre mesures généralistes utiles et mesures pénalisantes. Il en va ainsi de la suppression de l’obligation de l’aide alimentaire en matière d’aide sociale à l’hébergement (intégrée dans le code civil) et du maintien du recours sur succession. Maintenir le GIR 4 au bénéfice de l’APA et développer la prévention pour tous dès le GIR 6 est positif, de même que l’élaboration d’un programme de mise aux normes et d’adaptation de l’habitat des personnes âgées est incontournable. Il faudrait le prévoir également pour les personnes handicapées, car l’offre en la matière est scandaleusement insuffisante. « Formuler des préconisations de référence pour les plans d’aide » risque d’ouvrir la porte à la rationalisation budgétaire de ceux-ci. « Assurer la prise en charge à 100 % des aides soignants et des AMP2 dans les EHPAD3 », certainement. Mais pourquoi renvoyer les salaires des personnels sociaux et d’animation à l’APA telle qu’elle existe ? Sinon que la prise en charge de la perte d’autonomie par la Sécu doit s’arrêter aux soins.

Le recours obligatoire aux assurances est rejeté pour des motifs sur lesquels nous reviendrons plus en détail. Ils notent qu’un « tel marché pour être économiquement viable pour les acteurs privés, devrait logiquement être élargi à d’autres risques pris en charge à ce jour par la Sécurité sociale »4. Par contre, « le système assuranciel demeure valable sous forme de complémentaires… » En matière de financement tout y passe : contrat d’assurance facultatif (donc pour les plus aisés), aligner le taux de CSG des pensions sur celui des revenus d’activité. Et faire de la CNSA5 une « véritable caisse autonomie regroupant État, départements, partenaires sociaux ». Hors Sécu ?

On le voit, la mobilisation contre cette contre-réforme ne trouve pas que l’État sur son chemin. Les conseils généraux sont aussi en travers.1. Document de synthèse, Assises de la perte d’autonomie, mai 2011. Document accessible sur leur site, www.adf.fr 2. Aides médico-psychologiques.3. Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.4. Synthèse, p.9. C’est bien ce qu’on dit, l’assurance prépare la privatisation de la Sécu.5. Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie.

Droit à l’autonomie pour les personnes handicapées

Sarkozy et Bachelot vont présenter leur « réforme de la dépendance » au vote du Parlement à l’automne. Le contenu du projet de loi ne sera connu qu’en juillet prochain. Les associations de personnes handicapées du collectif « Ni Pauvre Ni Soumis » sont inquiètes, à juste titre.Bien que Bachelot ait annoncé que les personnes handicapées ne seraient pas concernées par le projet de loi, on est en droit de s’inquiéter de l’avenir de l’aide sociale qu’elles perçoivent quand sont stigmatisés les « assistés sociaux » et alors que Longuet déclarait l’an dernier que « la dépendance, c’est d’abord une affaire de responsabilité individuelle et familiale… et [qu’il ne fallait] renvoyer la facture à la collectivité publique que dans les cas minoritaires ». Dans le rapport de Rosso-Debord, la « convergence des politiques de compensation des situations de handicap quel que soit l’âge de celui qui les subit… » est envisagée sans détour.

La dépendance est une question relative à la nature du handicap. Tous les personnes en situation de handicap ne sont pas « dépendantes ». Si l’espace urbain, les bâtiments et les transports publics, les lieux de travail, l’école, les logements étaient aménagés, l’accompagnement social en aides humaines ou techniques ne serait pas aussi vital.

L’aide sociale concerne aujourd’hui 200 000 personnes sous forme de la prestation de compensation du handicap (PCH) ou de l’allocation compensatrice tierce personne (ACTP). En 2005, avec la PCH, des droits nouveaux ont été ouverts et financés par les conseils généraux et la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). Si ces allocations sont insaisissables et ne sont plus récupérables sur l’héritage de la personne handicapée depuis 2005, elles restent soumises aux politiques de restrictions budgétaires des conseils généraux, de la CNSA. Les besoins sont sous-évalués et cette tendance va en s’amplifiant. La liste des aides humaines est restreinte : toilette, habillage, alimentation, élimination. Les autres besoins d’une vie autonome ne sont pas couverts : ménage, courses, aide à la communication. D’autres besoins sont systématiquement minorés dans les « plans personnalisés de compensation » négociés avec les maisons départementales du handicap (MDPH), sous prétexte qu’ils ne sont pas essentiels. L’ACTP permet tout juste de couvrir quelques heures d’aide humaine par jour alors qu’elle doit financer tous les besoins.

Par ailleurs, la priorité est donnée au renforcement de l’aide dans la famille et aux aides privées payantes. Aujourd’hui, 50 % des aides humaines sont des aides familiales. Ces aides familiales, qui doivent renoncer partiellement ou totalement à leur travail, sont payées certes par un financement public mais à des tarifs bien inférieurs (de 3,47 euros à 5,20 euros de l’heure) à ceux fixés pour des salariéEs du secteur social. 70 % des montants sont consacrés à des aides privées payantes (emplois directs, services mandataires ou prestataires).

Toutes les vies valent la peine d’être vécues. Il est hors de question que les « dépendants » quel que soit leur âge, aient une vie au rabais. À la privatisation rampante de l’accompagnement social, à la réduction des budgets sociaux, nous devons opposer le droit à vivre décemment dans la plus complète autonomie. Ce droit ne pourra être garanti que par une Sécurité sociale élargie, totalement gratuite, prenant en compte la perte d’auto­nomie et flanquée d’un service public diversifié de proximité, apte à répondre aux besoins sociaux spécifiques de cette population.