Les salariéEs du service d’Eau de Paris, en grève depuis le 25 février, animent chaque matin la place de l’Hôtel de ville. Henry, du syndicat CGT, a bien voulu répondre à nos questions.
D’où vient votre mobilisation ?
Nos revendications datent de 2012, quand des prélèvements effectués par le service technique assainissement (STEA), chargé de la maintenance du réseau, ont révélé que la protection des conduites en plomb contenait de l’amiante. 30 % des 2 700 km du réseau d’Eau de Paris sont amiantés. Ce réseau est un peu particulier, puisqu’il n’est pas enterré mais passe dans les égouts. Les conduites sont protégées par une peinture bitumineuse, le brais de houille, à base de goudron, contenant des produits très toxiques et, pour que ça ne « coule » pas, d’amiante. La ville de Paris était informée puisqu’on a retrouvé des courriers de 1975 qui signalent la présence d’amiante.
Jusqu’en 1985, date de la privatisation du service de l’eau, les fontainiers bénéficiaient du même régime que les égoutiers avec, comme compensation de l’insalubrité, la possibilité de départ à la retraite à 50 ans. Après 1985, et malgré la reprise en régie en 2010, les personnels sont de droit privé. L’âge de leur retraite passe de 60 à 62 ans et plus avec l’allongement des durées de cotisation. SalariéEs du privé, nous ne somme pas reconnus « catégorie active » permettant un départ à 55 ans et ne bénéficions pas davantage du compte pénibilité.
Les mobilisations de 1985 et 2010 nous ont permis d’obtenir un congé de fin de carrière par le cumul de jours de un an et sept mois après 40 ans de carrière.
En juin 2011, la mairie de Paris informait officiellement la direction des eaux de la présence d’amiante. Les résultats d’analyse que nous ne récupérons qu’au bout d’un an et demi révèlent la présence de 6 200 fibres par litre d’air1. On continue à faire des « coupes » avec des sous-traitants qui sont les principales victimes, en prennent plein les poumons. Devant l’absence de réaction, on se dit qu’on va arrêter de travailler comme des cons. Nous prenons « nos » affaires en mains en mettant en application le code du travail en situation de travail en milieu amianté. Tous les chantiers sont arrêtés : danger grave et imminent, enquête du CHSCT, étude et recherche de nouveaux procédés. Cela a ralenti les travaux, avec pratiquement pas de réparation sur fuites pendant un an. Nous travaillons avec masques, suivis médicaux, fiches d’exposition.
Mais si des procédures se mettent en place, personne n’a passé l’aspirateur dans les égouts. Il faudra des centaines d’années pour que le réseau soit assaini, vide de fibres. En 2014, on a fait 18 jours de grève au moment des élections municipales. L’accord de fin de grève prévoyait une réparation de préjudice sous la forme d’un congé de fin de carrière. Mais rien n’a été fait.
Quelles sont vos revendications ?
Nous demandons le doublement du congé de fin de carrière, parce qu’il a été dimensionné par rapport au travail en milieu confiné, aux risques chimique, bactériologique, les chutes, etc., mais on ne savait pas qu’il y avait de l’amiante.
Nous savons ce à quoi nous sommes exposés mais ce ne peut pas être en échange de rien. On est en grève depuis le 25 février. En pratique, les choses sont compliquées : pour l’H2S [sulfure d’hydrogène], il faut ventiler les égouts. Mais pour l’amiante ? C’est le contraire, il faut éviter de ventiler ! Le directeur d’Eau de Paris reconnait que la seule déambulation peut être dangereuse. Nous on ne déambule pas, on travaille.
L’entreprise ne veut rien lâcher car accorder une compensation c’est reconnaitre qu’on était exposés, que c’est presque délibéré, que des maires, des patrons d’entreprise avaient le devoir de savoir. La Mairie de Paris ne peut s’exonérer de ses responsabilités, ne serait-ce que parce qu’elle nomme les responsables d’Eau de Paris. On ne sortira pas sans rien. Tant pis si la gauche du PS au PC en fait les frais dans les élections municipales. Nous on se bat, on va continuer à se battre. La lutte, c’est la vie.
Propos recueillis par Robert Pelletier
- 1. La valeur limite d’exposition professionnelle maximale est à 10 fibres par litre depuis le 1er juillet 2015.