L’observatoire des médias Acrimed vient de lancer un appel « à l’ensemble des forces politiques de la gauche de gauche, aux journalistes et à leurs syndicats, aux collectifs de journalistes précaires, aux médias alternatifs comme à l’ensemble des usagers des médias, pour contester les dérives médiatiques actuelles et penser urgemment la réappropriation démocratique des médias (des) dominants ». Nous le relayons sur notre site, en appui à une démarche salutaire.
Le traitement médiatique des mouvements sociaux en cours, et en particulier celui des Gilets jaunes, n’est hélas pas surprenant. Toutefois, la mobilisation des médias dominants en défense du pouvoir politique et des forces de répression a pris depuis quelques semaines des proportions inédites.
Face à un mouvement s’inscrivant dans la durée, à la diversité de ses revendications, à sa popularité, et à la situation de crise politique dans laquelle il est en train de plonger le gouvernement, les maîtres (grands ducs et petits marquis) de l’espace médiatique resserrent les rangs. Il s’agit coûte que coûte de trouver des solutions de « sortie de crise » pour préserver le gouvernement en place, afin qu’il « garde le cap » des « réformes » libérales, et surtout de défendre les institutions qui contribuent à légitimer son pouvoir comme celui des tenanciers des grands médias. Le tout dans une surenchère autoritaire qui appuie et avalise l’emploi de la force par l’État ou appelle à davantage de répression. Des objectifs parfaitement synthétisés par Bernard-Henri Lévy, éternel phare de la pensée médiatique, dans un appel résumant l’esprit qui règne parmi les chefferies éditoriales des « grandes » rédactions : « Que Macron parle ou pas, que l’on soit d’accord avec lui ou non, qu’on soit pour ses réformes ou contre, n’a, à cet instant, aucune importance. Face à la montée en puissance des fachos, des factieux et des ennemis de la République, une seule option digne : soutien au Président Macron. »
Contre les médias de démobilisation sociale...
Comme à l’occasion de chaque mouvement social, les chiens de garde se démultiplient et quadrillent la quasi-totalité de l’espace médiatique en décrétant ce que nous devons penser et ce dont il faut parler. Symptôme de la « grande peur » médiatique, tous les mécanismes d’ordinaire utilisés pour la préservation de l’ordre établi sont ici mobilisés à la puissance dix : suivisme vis-à-vis de la communication gouvernementale ; sommations incessantes à ne pas aller manifester ; surexposition des violences (des manifestants) ; injonctions unanimes et unilatérales à les condamner ; délégitimation des revendications sociales et de certains représentants des mobilisations, etc. Autant de rappels à l’ordre déversés de manière continue sur les chaînes d’information telles que BFM-TV, LCI ou C-News.
Si les médias dominants ne fabriquent pas l’opinion à proprement parler (la défiance qu’expriment nombre de manifestants à leur égard en étant une des preuves), ils contribuent, par tous ces mécanismes, à :
– construire une atmosphère anxiogène ;
– définir les revendications sociales et politiques « légitimes » et définir le cadre dans lequel ces revendications doivent s’exprimer ;
– sélectionner et promouvoir la visibilité publique de porte-parole légitimes et de ceux qui ont le droit de s’exprimer.
Dans un tel contexte, les chefferies éditoriales se mobilisent en première ligne : chefs des services politique/justice/police, rédacteurs en chef, éditorialistes et chroniqueurs idéologues sont, de manière encore plus flagrante que d’ordinaire, de véritables militants en service commandé pour la classe dominante et ses oligarques.
Contre ceux-là, notre appel s’adresse aussi à l’ensemble des journalistes, précaires, forçats de l’information dominés par ces hiérarchies étouffantes et dont le travail se trouve souvent mutilé, détourné et saboté selon le seul bon vouloir de leurs patrons et « responsables » : combien de temps encore les tenants du système médiatique pourront-ils exercer leur pouvoir sur le dos des journalistes et en leur nom ?
... mobilisons-nous !
Née dans la foulée du mouvement social de 1995, Acrimed est une association qui dénonce les dérives d’une information trop souvent partiale et biaisée, fabriquée par des fondés de pouvoir de la classe dominante, qui ne trouvent jamais rien à redire au monde tel qu’il va. Un des objectifs de cette lutte consiste dans une transformation radicale de l’espace médiatique, qui passe notamment par l’expulsion des forces de l’argent de cet espace et par l’instauration de conditions permettant une réelle appropriation démocratique de l’expression médiatique et une information libre, indépendante et pluraliste.
C’est pourquoi nous lançons aujourd’hui un appel déterminé, à l’ensemble des forces politiques de la gauche de gauche, à l’ensemble des journalistes, à leurs syndicats, aux collectifs de journalistes précaires, aux médias alternatifs comme à l’ensemble des usagers des médias à tous nous réunir urgemment. Comment ? Une grande réunion publique en janvier serait une première étape : pour mettre en commun les expériences et préoccupations des uns et des autres, et pour discuter ensemble des actions concrètes à mener afin d’exprimer et faire entendre notre refus des dérives actuelles des médias dominants.
L’espace public et médiatique appartient à tous et ne saurait en aucun cas rester la propriété de la classe dominante. Notre combat doit devenir celui de tout le monde et nous invitons les acteurs des mouvements sociaux à s’emparer de la cause de la libération des médias.