La mort en direct de Jean Pormanov, alias Raphaël Graven, révèle une culture de l’humiliation et de la violence profondément ancrée dans nos sociétés. Derrière ce drame, ce sont les logiques de domination et de précarisation qui transforment la souffrance en spectacle qu’il faut interroger.
Le 8 août 2025, Jean Pormanov, de son vrai nom Raphaël Graven, a perdu la vie en direct pendant un stream, après des jours de violences diverses. Beaucoup découvrent, ou font mine de découvrir, qu’à la portée de toutes et tous circule, dans le vaste univers d’Internet, du contenu basé sur l’humiliation, la violence gratuite et la torture. Ce n’était ni dans un coin caché du darknet ni sur une plateforme obscure : c’était visible de toutes et tous, soutenu par des milliers de spectateurEs payant pour financer ces heures de stream d’une violence rare. Dès lors, les médias se sont déchaînés, les réactions ont fusé : Comment a-t-on pu en arriver là ? Pourquoi personne n’a réagi ? Qui sont les fautifs ?
Un échec collectif
Souvent, le cas de Jean Pormanov a été pris comme une situation isolée, comme un simple fait divers, alors qu’il s’agit d’un échec collectif. Dans notre société capitaliste, la culture de l’humiliation est omniprésente. Un des ressorts principaux de nombreuses émissions de télévision grand public est l’humiliation et la violence. C’est notamment le cas des émissions de Cyril Hanouna, qui ridiculise et insulte ses chroniqueurEs. Et cela ne date pas d’hier : on se souvient des freak shows (l’exhibition d’êtres humains qualifiés de « monstres »), des exécutions publiques où les spectateurEs venaient assister à la mise à mort de personnes marginalisées ou criminelles. Nos sociétés utilisent les personnes considérées comme différentes ou marginalisées pour assouvir la domination et créer du divertissement. Dans un monde validiste, individualiste et assoiffé de domination, la personne qui n’entre pas dans la norme, qui est jugée inutile, est déshumanisée et exploitée pour générer des bénéfices à ses dépens. Si Jean n’était pas mort en direct, cette affaire aurait fait beaucoup moins de bruit. Et pourtant, des Jean, il y en a partout. Mais leurs histoires, moins spectaculaires, ne sont pas racontées.
Un modèle de société à remettre en cause
On met souvent en avant le supposé consentement de Jean Pormanov aux violences qu’il subissait. Cette lecture libérale ne tient pas compte des conditions de cet accord, qui est aussi le résultat d’un manque d’amour, de reconnaissance, de moyens matériels et d’accès aux droits : accepter l’humiliation, la violence, le mépris pour avoir de l’argent, sortir de l’isolement, gagner un capital social, exister dans une société qui rejette, exister pour les autres, même si leur regard est moqueur ou admiratif. L’emprise est aussi financière : l’accès à une source de revenu inespérée qui permet d’échapper à la précarité et à la pauvreté. Plus cette source améliore les revenus, plus il est difficile d’en sortir. Il y a ici une responsabilité étatique, un modèle de société à accuser. L’État laisse les personnes handicapées, malades, pauvres, opprimées sur le bas-côté.
Pour ne pas en rester au scandale face à un fait divers — une autre manière de faire de la violence un spectacle — il faut poser des questions d’ensemble : comment protéger les personnes les plus fragilisées ? Comment mieux offrir amour, reconnaissance et protection dans un monde de violence ? Que faire pour que ces drames ne se reproduisent plus ?
Drapi, créatrice de contenu