Ce n’est vraiment pas une surprise. On pourrait dire que c’était même la suite logique, inscrite dans les plans de la multinationale. Depuis le début des menaces, années 2005-06, sur l’usine FAI qui a fini par fermer, on se disait que Ford ne liquiderait pas une usine sans se débarrasser de la deuxième. Ces deux usines construites en 1972-73 ont été séparées juridiquement en 2001 : FAI (fabrication transmissions automatiques) restait Ford à 100% et GFT (transmissions manuelles) devenait une Joint-Venture, une société 50% Ford et 50% Getrag (équipementier automobile). Les deux usines commençaient alors une vie séparée avec le début de la division entre salarié.es, contrats de travail, syndicalement et bien sûr en perspectives d’avenir.
Pendant la longue bataille contre la fermeture de FAI, la situation à GFT fluctuait. Les patrons affirmaient qu’il y aurait du travail pour longtemps donc pas d’inquiétudes à avoir, discours surtout pour rassurer les collègues et pour éviter que l’esprit de lutte d’à côté soit contagieux. Même si les chiffres de productions, de promesses d’embauches étaient à la hausse, restait des ambiguïtés et des doutes pour la suite. En 2015-16, le co-patron vend sa part qui est rachetée par un autre équipementier, Magna. La période qui suit est semée de rumeurs d’autres changement, notamment le départ de Ford.
Et bien voilà, cela est maintenant officiel, Ford qui est le seul client de l’usine, vend sa moitié à l’autre co-patron qui avait déjà exprimé auparavant son faible intérêt pour le site, au point de penser partir lui aussi.
On ne peut pas affirmer que tout est écrit d’avance et que le scénario de la fermeture est déjà ficelé. Mais on peut sérieusement penser que le danger est imminent, que les intentions de Ford comme de Magna sont de lâcher l’usine dans un délai rapproché. On peut même imaginé que Ford a d’abord voulu en finir avec FAI avant de partir de GFT. Il y a à peine quelques mois entre les deux évènements.
C’est sordide mais c’est partout pareil, les mêmes calculs, les mêmes manœuvres, les mêmes stratégies. Les multinationales prennent parfois leur temps, elles s’adaptent aux résistances sociales, elles programment et reprogramment leur calendrier. Et ce avec des marges de manœuvre d’autant plus importantes que les pouvoirs publics, l’Etat comme les collectivités territoriales laissent faire, s’enlisant dans une terrible impuissance.
En permettant à Ford de fermer l’usine FAI, en n’exigeant même pas le remboursement des subventions publiques de dizaines de millions d’euros, en ne réquisitionnant pas le site (bâtiments et terrains), en ne cherchant même pas à bloquer des licenciements qui n’avaient pas de motifs économiques, les pouvoirs publics donnait le signal à la multinationale qu’elle pouvait continuer son sale boulot. Ils ont une énorme responsabilité sur la situation actuelle.
Maintenant que va-t-il se passer ? Les syndicats appellent déjà à des actions pour dénoncer le départ de Ford, pour demander des garanties financières sur un éventuel plan de licenciements et de fermeture. Pour les salarié.es, il ne sera pas facile de se lancer dans une bataille après avoir été spectateurs durant des années de lutte contre la fermeture de l’usine voisine. Pas facile car notre « défaite » peut malheureusement renforcer la résignation, le sentiment qu’on ne peut rien y faire. Pas facile parce qu’il est difficile de trouver des perspectives pour se battre.
Et pourtant, il faudra bien tout tenter pour résister, pour refuser la fatalité, pour contrecarrer les projets destructeurs de Ford, enfin pour secouer les pouvoirs publics. Car finalement c’est là que tout se joue. C’est à l’Etat notamment de s’opposer aux logiques de course aux profits, c’est lui qui a les moyens, pas d’empêcher le départ de Ford, mais de faire payer la multinationale, de reprendre l’usine et les machines, de les réquisitionner, d’exproprier pour remettre l’outil de travail au service de la collectivité. La crise sanitaire a justement démontré la nécessité pour les pouvoirs publics de développer des productions de biens utiles à la population (on a vu pour les masques, les bouteilles d’oxygène, les respirateurs …), donc là il s’agirait de reconvertir l’usine avant qu’elle ne soit détruite, avant que les salarié.es ne soient licencié.es, avant de gaspiller le savoir-faire.
Pour cela, il faut une profonde mobilisation, pas seulement des salarié.es concerné.es, plus ou moins directement, mais aussi de toute la population autour. C’est évidemment un problème de rapport de force, car il s’agit d’imposer cette perspective de refuser la catastrophe. Au bout, il est question tout simplement de nos vies à toutes et tous.