Publié le Dimanche 8 janvier 2012 à 12h42.

Ivry : écœurement à gauche

Depuis le début décembre, les défenseurs des hôpitaux publics vont de surprise en surprise à Ivry-sur-Seine (94). L’hôpital Jean-Rostand (JR), naguère siège d’un établissement public, maternité et soins de suite, a été fermé en 2009 au profit d’une nouvelle maternité haut de gamme et bien plus petite, à Bicêtre. La mobilisation de la population d’Ivry n’y a rien changé. La façon dont a été gérée la fin de JR a laissé des traces parmi les militantEs mais ils ont reporté leur énergie sur la défense de l’hôpital Charles-Foix (Cfx), haut lieu de la gériatrie, visiblement dans le collimateur de l’Agence régionale de santé, dirigée par Claude Évin, ancien ministre socialiste. Après des centaines de fermetures de lits depuis une dizaine d’années, CFx est désormais annexé à la Pitié et menacé de perdre des centaines d’emplois en échange de promesses de développement et d’amélioration à venir, qui n’engagent comme d’habitude que ceux qui les écoutent.

Là-dessus, début décembre, l’unique élu NPA au conseil municipal d’Ivry apprend par un dossier de la commission d’urbanisme que le bureau municipal se prépare à donner un avis favorable à un projet médical pour JR. Le propriétaire, la mutuelle Macif, le vendrait à Eiffage qui se chargerait de le mettre en état pour le groupe FamiliSanté présenté comme un groupe familial et indépendant, en réalité une filiale d’Orpea, multinationale particulièrement agressive spécialisée dans l’exploitation de l’or gris (la vieillesse). Surtout, il est clair que les projets prévus, bien lucratifs pour le privé, seront directement en concurrence avec les services de soins de suite naguère déplacés de JR à CFx et surtout avec ceux qui y sont envisagés.

L’alerte est donnée au réseau de défense des hôpitaux publics. Un début de mobilisation s’organise pour le conseil municipal du 15 décembre où le projet présenté pour CFx doit être voté et celui de JR faire l’objet d’une simple information, assortie d’un vote sur un point mineur : vendre à la Macif une petite portion de terrain pour améliorer sa maîtrise foncière. Le 15, le point d’information ne figure plus à l’ordre du jour du conseil, le maire refuse d’organiser un débat en urgence comme demandé par notre élu, mais doit admettre piteusement que le dossier complet de JR, avec l’acceptation municipale, a déjà été transmis à l’ARS. Un débat s’improvise néanmoins avec les moyens du bord, à partir de celui sur la défense de CFx.

Un adjoint, cherchant à déstabiliser les opposants, se lance dans une tirade d’un cynisme absolu d’où il ressort qu’en économie capitaliste, on doit faire du fric et qu’en faire avec un hôpital privé ou avec un multiplexe, c’est bien pareil. Le public est indigné ; un militant communiste commente que s’il ne s’agit que de faire du fric avec une ancienne maternité, autant ouvrir directement un bordel. Les choses ayant été dites, le vote sur la cession de portions de terrain prend un caractère symbolique : le groupe communiste se divise en pour, contre et abstention, le PS et les Verts votent la vente, l’élue LO, membre de la majorité municipale, après avoir condamné le projet, s’abstient.

Nous ne voulons pas en rester là : ce qui se prépare déstabilise d’avance les projets prévus à Charles Foix. Rendez-vous est demandé au maire.

Correspondant

 

à la suite de la publication de cet article sur notre site, Philippe Bouyssou qui l'a trouvé "caricatural", nous a demandé de publier l'intégralité de son intervention. Ce que nous faisons ci-dessous :

 

M. BOUYSSOU.- « Je ne voudrais pas, sur ce sujet extrêmement important, être polémique, d’autant que je partage sur le fond énormément de choses qui ont été dites par Françoise Ehrmann, par Gisèle Pernin, par Serge Aberdam, par Nicolas Rameau. Je crois que le territoire d’Ivry, comme le territoire national, est confronté à une double logique qui est conduite par le gouvernement de droite, c’est-à-dire à la fois une rationalisation de l’offre de soins et, dans cette rationalisation, une réelle place scandaleuse donnée au secteur privé et qui me révolte, il n’y a pas de concours de révolte, ce soir. Je crois que nous sommes tous révoltés par la politique de l’État en matière de santé et que nous sommes nombreux autour de cette table à être d’accord sur la nécessité d’abroger la loi Bachelot, de mettre un terme à la politique conduite par les Agences Régionales de Santé dans le pays et à foutre tout cela en l’air pour construire une autre politique. Je crois qu’il n’y a là-dessus aucune ambiguïté et de ce point de vue là il ne s’agit pas d’un concours. Ce double mouvement de rationalisation et de part belle faite au privé a été d’ailleurs, je trouve, très bien démontré par notre interlocuteur de cet après-midi qui, au-delà d’être un gestionnaire brillant et aussi d’une froideur incroyable sur les questions qu’il a posées d’équilibre financier – quand il a mis dans la balance le nombre d’emplois à fermer et à supprimer pour pouvoir faire atteindre à l’hôpital Charles Foix un équilibre financier, réduire la présence des personnels techniques, des personnels administratifs, des aides-soignants, etc.

Nous avons eu un discours absolument époustouflant de ce point de vue là et qui est strictement à l’image de ce qu’est la politique de la droite en ce moment dans ce domaine-là et qui pousse l’Assistance Publique – alors certains sont volontaires, il n’avait pas l’air de se défendre beaucoup par rapport aux injonctions qui lui sont faites… effectivement, c’est une politique catastrophique.

Je trouve donc assez normal, finalement, que l’on rapproche dans le débat de ce soir les deux questions, c'est-à-dire à la fois l’avenir de Charles Foix, avenir pour lequel il a tout de même fallu que les salariés, la municipalité, la population se battent parce qu’il n’y a quand même pas si longtemps que cela que des menaces réelles pesaient sur le maintien même de l’hôpital Charles Foix et sur le fait que l’Assistance Publique pouvait conduire sur ce territoire une opération immobilière qui aurait mis absolument à mal l’intégralité des capacités d’hospitalisation. Il y a quelques écueils qui les ont empêchés d’avancer sur leur projet : c’est la mobilisation du personnel, c’est la mobilisation des élus, mais c’est aussi ce que nous avions planté. Alors je suis moins bon que Pierre Gosnat ou Nicolas Rameau pour parler de ces questions, mais ce sur quoi l’on se bat depuis des années, tant sur l’allongement de la vie que sur la pépinière d’entreprises et les activités économiques qui doivent aller autour de cela, fait qu’aujourd’hui ils sont un peu plus en difficulté qu’ils ne l’auraient été s’il n’y avait pas eu cela pour fermer l’hôpital.

Le discours de Monsieur Léglise, cet après-midi, était clair : il y a quand même encore aujourd’hui un gros risque. En gros, il nous a quand même dit – là aussi avec une certaine froideur et une certaine morgue – que, pour le moment, c’était une animalerie et qu’il restait à convaincre les instances universitaires pour faire venir des équipes de recherche, pour conforter la dimension hospitalo-universitaire de l’établissement. De ce point de vue là, il y a encore des batailles à mener. Moi non plus je ne suis pas content de la fermeture de centaines de lits qui est en train de s’opérer ou qui a déjà été opérée dans cet hôpital qui en a compté jusqu’à un millier, voire plus et qui, aujourd’hui, va en compter dans le projet stabilisé qu’ils engagent, 460, ce qui ne répondra pas aux besoins.

Il y a donc un double mouvement de rejet vers l’extérieur, il y a ce que dit Gisèle Pernin sur la privatisation d’un certain nombre de choses sur laquelle on peut évidemment ne pas être d’accord, et le rejet aussi des capacités de long séjour, sur la dimension sociale par rapport aux Conseils généraux et dans les EHPAD (Etablissements d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes). Ils réservent 90% des places de l’EHPAD qui va se construire sur le territoire de l’hôpital pour faire des « lits d’aval » par rapport aux soins de suite et de rééducation.

Tout à l’heure, Monsieur Léglise me disait « vous me parlez des problèmes d’équilibre mais je vous rappelle que ce sont les Conseils généraux qui aujourd’hui fixent le prix de journée sur la partie hébergement/hôtellerie de ces structures et que ce sont y compris les Conseils généraux qui nous obligent de fait à réduire les coûts, et que l’équilibre rentre là-dedans », etc. Il n’est donc pas le dernier à savoir aussi nous prendre dans les contradictions de la gestion que l’on est obligés d’appliquer au quotidien.

Je veux bien, sur le projet de clinique privé à Jean Rostand, que l’on regarde d’abord le projet de Charles Foix que nous a présenté Monsieur Léglise cet après-midi … alors j’intègre, si elle me l’autorise, tout ce qu’a dénoncé Gisèle sur le groupe ORPEA. Ce sont évidemment des bandits, nous sommes d’accord, je n’ai aucun problème là-dessus. Ils proposent un projet de SSR (Soins de Suite et de Réadaptation) du système neurologique, du système locomoteur, métabolique et endocrinien.

Il y a un point commun avec le projet médical de Charles Foix, c’est sur ce qui concerne effectivement l’orthopédie, la traumatologie, le locomoteur, c’est le seul point commun entre les deux projets de l’hôpital. J’ai posé la question à Monsieur Léglise tout à l’heure – Françoise Ehrmann le rappelait – qui dit que c’est une chance, qu’il n’y a pas de risque, qu’ils n’ont pas une orientation gériatrique particulière, etc. Mais il faudra de toute façon y être vigilants. Déjà, 460 lits à Charles Foix, c’est « peau de chagrin », il faut que la bataille continue.

Dernier point – et je m’excuse d’être un tout petit peu long mais il y aurait encore plus à dire : je veux bien que l’on déclare Ivry zone interdite aux effets du capitalisme et de la politique de la droite, je suis complètement d’accord avec cette idée. Seulement, cela va sacrément changer la manière de gérer la ville et pas seulement la manière de gérer la ville mais aussi les effets d’une telle chose sur la population ivryenne.

Je vais donner quelques exemples en essayant de n’être ni outrancier, ni caricatural. Par exemple, je pense qu’il faut immédiatement que l’on arrête, dans le cadre de la ZAC du Plateau, la construction du bâtiment du ministère des Finances parce que ce bâtiment que l’on a accepté dans le cadre de la ZAC du Plateau va être un formidable levier pour la mise en œuvre de la RGPP dans le domaine du ministère des Finances. C’est forcément un levier qui va leur permettre d’aller plus loin dans leur politique.

Il y a quelques années, nous avions eu un débat de fond sur l’implantation d’un multiplexe Pathé sur la ville. Je pense qu’il faut de toute urgence qu’on le ferme ou que l’on fasse quelque chose.

Il y a au quotidien, notamment dans le cadre de notre politique de logement pour pouvoir continuer à construire des logements sociaux sur le territoire, dans le cadre d’un PLH d’ailleurs que l’on ne juge pas très favorable parce qu’il n’y a pas beaucoup de PLAI et de loyers accessibles à la grande majorité des demandeurs de logement, mais pour pouvoir continuer à construire des logements sociaux on est obligés de faire un truc dégueulasse, ce sont des compromis avec le grand capital et avec des aménageurs qui ne sont pas tous nos copains.

On a parlé très souvent de la ZAC Ivry-Confluences : dans l’équilibre financier général de cette ZAC, pour pouvoir développer ce bout-là de la ville, eh bien tout communiste que l’on est, on est obligé d’en passer parfois par des accords pour que les prix de sortie soient le moins mauvais possible pour les Ivryens, pour que l’accession se réserve, mais c’est au quotidien que l’on est obligé d’articuler ces éléments de gestion qui parfois relèvent du compromis avec notre visée transformatrice de la société. Et j’ai envie de dire que le problème de la clinique privée à Jean Rostand s’inscrit un peu dans ce cadre-là.

Que propose-t-on de faire ? Si l’on propose de s’y opposer, que va devenir le bâtiment de Jean Rostand ? Cela va être une friche, un truc qui restera à l’abandon. L’idée avait été émise par Daniel Mayet notamment d’y implanter une crèche, d’y implanter le CMS plutôt que de faire une réhabilitation à 9 millions d’euros, d’y faire un foyer de jeunes. On a eu pleins d’idées, on a cherché. La Ville ne peut pas – je l’ai expliqué tout à l’heure au niveau du budget communal – porter un projet d’une telle ampleur avec les travaux qu’il y aurait à faire dans le bâtiment pour le transformer en quelque chose d’autre qu’une structure spécifiquement hospitalière parce que, tout de même, ces dernières années l’Assistance Publique avait mis un certain nombre de moyens là-dedans qu’elle a complètement laissés à l’abandon. Cela fait sourire d’ailleurs quand on entend Monsieur Léglise parler de ces problèmes de patrimoine, là où ils ont fait des investissements ils ont été capables de les abandonner pour pouvoir ensuite les passer au privé, ce qu’il va se passer aujourd’hui.

Donc, bien sûr que c’est dégueulasse, bien sûr que l’on est en colère, mais que fait-on du bâtiment de Jean Rostand ? Je rappelle tout de même qu’il y a très longtemps maintenant, en 1976, ce bâtiment était un centre hospitalier privé. On s’est battus, les personnels l’ont occupé, il y a eu une lutte locale très forte et ensuite cela a été repris en gestion par l’Assistance Publique grâce à cette lutte. Alors vous allez me dire que je suis complètement utopiste, mais si l’on arrive à faire changer la politique dans ce pays, peut-être que dans quelques années on sera en capacité de faire la marche inverse et de renationaliser une série d’établissements privés aujourd’hui. Mais l’étape intermédiaire dans laquelle nous sommes aujourd’hui… et puis ce n’est pas notre décision, nous ne sommes pas propriétaires du bâtiment, le racheter reviendrait à mettre la commune sur la paille, je le dis en toute honnêteté. Nous ne sommes pas propriétaires du bâtiment et la seule chose que le Maire a à faire dans cette affaire c’est de donner effectivement un avis favorable, non pas sur la nature du projet, mais sur l’implantation d’une structure à caractère hospitalier privé, malheureusement, dans le territoire. Et nous aurons à décider tout à l’heure dans les affaires diverses de ce bout de voirie que l’on va revendre à la Macif parce que l’on a racheté d’autres terrains contigus pour faire, de plus, un projet de logements. Et l’on va peut-être encore sur ce projet de logements se compromettre avec le grand capital et avec des aménageurs pas très beaux mais on le fera tout de même s’il y a quelques logements sociaux dedans.

De fait, ce petit bout de terrain que l’on va vendre, quel que soit l’usage de la structure, on l’aurait fait quand même. Je disais tout à l’heure en plaisantant que, même si c’est pour un salon de toilettage pour chien, ce petit bout de voirie sera vendu.

C’est donc une contradiction, un effet terrible de la réforme hospitalière, mais il n’y a personne de plus en colère que d’autres dans cette affaire. »