Durant le mois d’août, Macron a entrepris une tournée dans l’est de l’Union européenne pour convaincre les pays visités d’accepter un futur texte européen qui resserrerait les boulons sur le travail détaché.
«La directive telle qu’elle fonctionne est une trahison de l’esprit européen dans ses fondamentaux » a ainsi déclaré Macron le 23 août. L’« esprit européen » peut-être, même si on ne sait pas trop ce que c’est, mais l’esprit de l’Union européenne, certainement pas : le texte sur le travail détaché n’est qu’un exemple des mesures libérales vantées pour peser sur les acquis sociaux et mettre les travailleurEs en concurrence les unEs avec les autres. La directive européenne de 1996 assimile le travail détaché à une prestation de service. En conséquence, unE travailleurE détaché n’est pas unE travailleurE qui se trouve travailler dans un pays autre que le sien et bénéficie (en principe) de conditions analogues à celles des travailleurEs du pays. UnE travailleurE détaché est quelqu’un supposé travailler dans une entreprise et qui est mis par celle-ci à la disposition d’une entreprise d’un autre pays. Ses droits sont réduits et ses cotisations sociales sont supposées être payées dans le pays d’origine. Quel est le bénéficiaire du mécanisme ? Avant tout le patron français qui y recourt pour réduire le coût des salaires (d’autant qu’unE travailleurE détaché est parfois payé à un coefficient inférieur à sa qualification).
Le travailleurE détaché, un bouc émissaire
Le travail détaché est un problème réel, auquel il faudrait répondre par le mot d’ordre « à travail égal, salaire égal ». Salaire égal signifiant, bien sûr, non seulement le salaire net mais les cotisations sociales. Mais le travailleurE détaché est devenu le bouc émissaire de tous ceux qui veulent avoir l’air de faire quelque chose contre la compétition économique sauvage tout en ne s’attaquant pas à la logique de la concurrence par les salaires. De Mélenchon à Le Pen, c’est « Feu sur le travail détaché » !
La directive doit être révisée, mais la discussion n’avance guère : les gouvernements des pays d’Europe orientale voient dans le travail détaché un moyen de faire baisser le chômage, même si leurs ressortissantEs sont traités en travailleurEs de seconde zone.
En montant en première ligne, Macron espère obtenir quelques modifications plus tangibles du dispositif actuel. Il évoque diverses restrictions comme la limitation de la durée du détachement et dénonce par exemple les sociétés « boîtes aux lettres » domiciliées dans un pays où les charges sociales sont les plus faibles et qui n’ont aucune activité sinon le « détachement » de travailleurEs. La tournée de Macron a ainsi été l’occasion d’un clash avec le gouvernement polonais.
Une diversion aux ordonnances
Que vise réellement Macron avec cette agitation ? D’abord, montrer qu’il joue un rôle moteur dans la « relance » de l’Union européenne après le sommet de Bruxelles de juin dernier. Pour arracher un compromis, il pourrait offrir aux pays d’Europe centrale et orientale un « deal » du type : vous acceptez de faire un geste sur les travailleurEs détachés et on oublie que vous ne voulez accueillir aucunE migrantE.
Mais surtout, Macron poursuit un objectif de politique intérieure. Alors que durant le mois d’août les cabinets ministériels et l’administration ont travaillé d’arrache-pied sur les projets d’ordonnance visant au rabotage du droit du travail, il occupait la galerie avec un autre sujet propice à la démagogie, et consensuel parmi les principaux courants politiques français.
Henri Wilno