Le 14 octobre prochain, l'Union européenne votera une loi qui pourrait sonner le glas de nos communications privées. Sous prétexte de lutter contre la pédocriminalité, le projet « Chat Control » instaurerait une surveillance généralisée de tous nos échanges numériques. Une dérive sécuritaire de plus, qui s'attaque aux libertés fondamentales sans apporter de solution réelle aux violences faites aux enfants.
Une surveillance de masse sans précédent
Le règlement européen dit « Chat Control » ou CSAR (Child Sexual Abuse Regulation) obligerait tous les fournisseurs et fournisseuses de services de communication – WhatsApp, Signal, Telegram, mais aussi nos boîtes mail – à scanner automatiquement l'intégralité de nos messages, photos et fichiers. Cette surveillance s'étendrait même aux communications chiffrées de bout en bout, pourtant conçues pour garantir notre vie privée.
Le procédé envisagé, appelé « client-side scanning », consisterait à analyser nos contenus directement sur nos appareils, avant même que les messages ne soient chiffrés et envoyés. Une violation technologique majeure qui transformerait nos téléphones et ordinateurs en outils de surveillance permanente.
L’internet libre dans le collimateur
Bien que neuf États membres s'y opposent (la France étant bien évidemment pour), cette proposition s'inscrit dans la continuité d'une offensive générale des États contre l’internet libre. Après les tentatives de censure, la surveillance des réseaux sociaux et les attaques répétées contre l'anonymat en ligne, Chat Control représente un nouveau palier dans cette reprise de contrôle autoritaire du cyberespace.
Comme toujours, les classes dominantes utilisent des prétextes moralement indiscutables – ici la protection des enfants – pour faire accepter l'inacceptable. Mais derrière cette façade humanitaire se cache une volonté claire : étouffer toute forme de résistance numérique et surveiller massivement les populations.
Une efficacité plus que douteuse
À l'instar des caméras de surveillance, qui ne réduisent pas la criminalité mais la déplacent simplement, la surveillance de masse ne contribue pas à lutter efficacement contre la pédocriminalité. Les prédateurEs continueront d'utiliser des outils de chiffrement externes ou des canaux alternatifs, tandis que des millions d’innocentEs verront leur vie privée violée.
Plus grave encore : les ressources colossales nécessaires à la mise en place de cette surveillance généralisée seront détournées des véritables solutions. La Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) a pourtant tracé la voie avec dix recommandations concrètes, qui ne nécessitent aucunement de surveiller l'ensemble de la population. Toutes demandent des moyens humains et financiers que les États préfèrent consacrer à leurs fantasmes technologiques de contrôle total.
L’hypocrisie du système à nu
L’hypocrisie de cette démarche éclate au grand jour quand on observe l’inaction des mêmes États face aux scandales qui éclaboussent régulièrement les élites. L’affaire de Notre-Dame de Bétharram, où des religieux ont violé des enfants pendant des décennies en toute impunité, ou la protection dont continue de bénéficier Roman Polanski, illustrent parfaitement cette duplicité.
Car la réalité des violences sexuelles sur mineurEs se situe principalement dans le cadre intra-familial – 81 % des agressions selon les statistiques de la Ciivise. Surveiller nos messages WhatsApp n'y changera strictement rien, mais permettra aux autorités de surveiller les militantEs, les syndicats, les journalistes d'investigation et touTEs celles et ceux qui dérangent l'ordre établi.
Des vulnérabilités techniques dramatiques
Techniquement, le « client-side scanning » reviendrait à installer des portes dérobées sur tous nos appareils. Ces failles de sécurité artificielles augmenteraient considérablement la surface d’attaque et pourraient être exploitées par des acteurEs malveillantEs – y compris contre les enfants que ce dispositif prétend protéger.
De plus, les systèmes automatisés génèrent un taux élevé de faux positifs. Des photos de famille innocentes, des contenus artistiques ou des discussions privées légitimes risquent d'être signaléEs par erreur, exposant des millions de personnes à des investigations injustifiées.
Une justice de classe évidente
Les législateurEs ont pourtant bien conscience des risques engendrés par une telle loi lorsqu’ils et elles prévoient d'exempter la police, le personnel militaire et... eux et elles-mêmes de ce dispositif de surveillance. Les communications « professionnelles » des élites resteront protégées, tandis que celles du peuple seront systématiquement épiées.
Cette justice à deux vitesses révèle la véritable nature du projet : il ne s'agit pas de protéger les enfants, mais de surveiller et contrôler les classes populaires.
Vers l’interdiction totale du chiffrement ?
Chat Control constitue une étape supplémentaire pour pousser les constructeurs et constructrices et les développeurEs vers l’illégalité lorsqu’ils et elles proposeront des logiciels de chiffrement robustes. Cette criminalisation progressive pourrait déboucher sur une interdiction complète des communications chiffrées, privant définitivement les citoyenNEs de tout moyen de protéger leur vie privée.
Construire nos propres outils de résistance
Face à cette offensive sécuritaire, il ne faut pas compter sur la bonne volonté des représentantEs d'un système qui organise lui-même cette surveillance. Notre résistance doit être autonome et collective.
Il est crucial de comprendre l’importance vitale des algorithmes de chiffrement dans la protection de nos vies privées numériques. Ces outils ne sont pas de simples gadgets techniques, mais des remparts indispensables contre l’arbitraire étatique et capitaliste. Apprendre à les utiliser, les diffuser et les défendre fait partie intégrante de notre lutte pour l’émancipation. Dans cet esprit, le groupe de travail sur le numérique du NPA-l’Anticapitaliste souhaite promouvoir l’usage de Delta Chat et propose l’hébergement d’un relais Chat Mail public.
Enfin, nous devons rappeler que les violences faites aux enfants s’enracinent profondément dans le système patriarcal. Ce sont les rapports de domination masculine, l’autorité paternelle sacralisée, la culture du viol et l’omerta familiale qui permettent ces violences massives.
La véritable protection de l’enfance passe par la destruction du patriarcat et la construction d’une société égalitaire où la parole des victimes sera enfin entendue et respectée. Chat Control ne fait que détourner l’attention de cette lutte fondamentale tout en renforçant l’appareil répressif d’État.
Refusons cette surveillance de masse. Défendons nos outils de chiffrement. Luttons contre le patriarcat qui tue.