Les dirigeants les plus intelligents de la bourgeoisie préparent toujours le coup d’après.Dans une interview au Journal du dimanche, François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France (et à ce titre également membre de la direction de la Banque centrale européenne), dit deux choses. Premièrement, aujourd’hui, il faut dépenser pour soutenir l’économie face à la crise, même si cela entraine une dette publique qui devrait atteindre 115 % du PIB (pour financer les quelque 110 milliards de dépenses programmées en France, l’État va s’endetter d’environ 90 milliards d’euros). Deuxièmement : « Dans la durée, il faudra rembourser cet argent ».
Sauver le capitalisme
Aujourd’hui l’économie capitaliste est largement paralysée. Les entreprises sont en grande partie à l’arrêt par manque d’éléments nécessaires (pièces, etc.) à leur activité, car les processus productifs sont mondialisés, et aussi parce que la main-d’œuvre est pour une part confinée. À ce problème d’offre s’ajoute un problème de demande : les échanges internationaux sont en berne et, au niveau intérieur, c’est la même chose pour les achats des particuliers, de l’État, des autres entreprises. Ces difficultés des entreprises risquent de se répercuter sur les banques, si un nombre important d’entre elles ne peuvent rembourser leurs crédits ; or, la dette des entreprises avait beaucoup augmenté dans l’avant-crise.
Donc Villeroy de Galhau, le ministre des Finances et tous leurs homologues étrangers sont en alerte : il faut sauver les banques et les grandes entreprises et, pour cela, ne pas lésiner sur les milliards de dépenses et de garanties de crédit. Pour politiquement faire passer ces mesures et aussi pour éviter un effondrement encore plus rapide des achats des ménages (et donc mettre les entreprises encore plus en difficulté), tous les États ajoutent à leurs plans d’urgence une pincée de mesures sociales. Du coup, c’en est fini pour un temps des rengaines sur l’équilibre budgétaire et les critères européens.
Se préparer à faire payer « ceux d’en bas »
Mais le projet n’est en aucun cas de construire un « monde d’après » avec une autre logique économique. Il s’agit de rétablir le plus vite possible le « monde d’avant » et de faire payer la crise à celles et ceux d’en bas. L’austérité est programmée. D’ailleurs, on évoque une future réduction des dépenses, y compris de la santé.
Pour cela, rien de plus commode que d’agiter le spectre de la dette. Or, si pour un particulier, être endetté, c’est une insécurité, car il faudra rembourser, un État ne rembourse quasiment jamais sa dette (les exceptions sont rares) : la plupart du temps, il s’endette à nouveau du montant à rembourser, la question centrale étant celle du taux d’intérêt pour les nouveaux emprunts. De plus, dans le passé, à diverses reprises, les États ont usé de mécanismes divers pour reporter les échéances. Aujourd’hui encore, certains économistes, loin d’être anticapitalistes, craignent que l’austérité soit trop forte et contre-productive, y compris pour les capitalistes, et proposent des solutions alternatives : par exemple, une dette de très longue durée – à 50 ou 100 ans, voire une dette perpétuelle – que la Banque centrale européenne rachèterait (proposition de l’économiste Daniel Cohen et du banquier Nicolas Théry).
Il n’y a donc pas péril en la demeure. Cette affaire de la dette souligne une fois de plus l’hypocrisie d’un gouvernement qui a supprimé une bonne partie de l’impôt sur la fortune, abaissé la fiscalité sur les revenus du capital, réduit l’impôt sur les sociétés (et s’apprête à le faire encore) et refuse tout impôt exceptionnel, par exemple, sur les comptes importants d’assurance-vie (le PS l’avait proposé et cela a été enterré en deux temps trois mouvements).
En finir avec la dette
Ce qui ne signifie pas que la dette ne soit pas un problème : chaque année des sommes importantes (de l’ordre de 40 milliards d’euros, soit les 4/5 du budget de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports) sont consacrées au paiement de la dette. Et la dette est un instrument de chantage de la finance si un État se lance dans des politiques qui pourraient attenter aux profits. Il faut donc en finir avec la dette publique comme mode de financement des économies : c’est-à-dire renouer avec un financement par avances de la Banque centrale (qui a existé jusqu’aux années 1980), arrêter de payer les intérêts annuels (sauf aux petits épargnants) et en annuler la plus grande partie, car elle s’est développée à cause notamment de toutes les baisses d’impôts et de cotisations patronales en faveur des plus riches et des grandes fortunes.