Alors que le 5 décembre était dans le paysage depuis plusieurs semaines, on pouvait déplorer un certain décalage entre l’ambiance à La Poste et celle dans bien d’autres secteurs. Les discussions sur les retraites n’étaient certes pas inexistantes dans les services, mais ce n’était pas le sujet central. On peut formuler l’hypothèse que les restructurations permanentes, la dégradation brutale des conditions de travail dont la presse s’est faite plusieurs fois l’écho, avaient tendance à écarter, dans une certaine mesure, toute autre préoccupation.
La température a changé dans les deux dernières semaines, et on pouvait sentir que « la sauce prenait » vraiment dans les derniers jours. Une impression nettement confirmée par le nombre de grévistes le 5 décembre. La direction de La Poste a annoncé près de 15 % d’agents en grève (contre environ 5 % lors des mobilisations interprofessionnelles ces derniers années, y compris pendant la lutte contre la Loi travail). Les chiffres patronaux sont par ailleurs très largement pipeautés, puisqu’ils sont calculés sur la base de l’effectif total (donc en comptant les agents en vacances, RTT, congés maladie — y compris en longue maladie, formation, etc.). En réalité, on peut affirmer, sans tomber dans les travers des « chiffres politiques », que près d’un postier sur 4 a cessé le travail. C’est au-delà des chiffres de 2010. Il faut donc remonter à 2003 pour trouver des chiffres équivalents !
C’est un signe manifeste qu’il se passe quelque chose de profond. Le paradoxe à La Poste, c’est que le secteur qui est devenu, depuis plusieurs années, le symbole de la conflictualité (les factrices et les facteurs), est aussi celui qui se mobilise le plus faiblement dans le cadre de grèves nationales, notamment interprofessionnelles. Les grèves à la distribution du courrier restent, la plupart du temps, locales et, au mieux, départementales. Or, le 5 décembre, près de 20 % des factrices et des facteurs étaient en grève. Les centres de chèques, les centres de tri et les guichets, dont les chiffres sont traditionnellement plus élevés dans ce type de configuration, ne sont pas en reste. Plusieurs services étaient en grève majoritaire, nombre de bureaux de postes étaient fermés.
Un saut quantitatif et qualitatif important donc. La journée du 5, contrairement aux précédentes, a permis que les enjeux sectoriels immédiats se lient avec ceux liés à la politique gouvernementale. Au vu du degré de colère accumulé depuis des années à La Poste, c’est potentiellement explosif. Pour autant, tous les écueils, toutes les difficultés liées à la période ne sont pas levées. Les reconductions, le 6 décembre, ont été marginales. Les équipes syndicales combatives devront déployer une intense activité pour que se multiplient les prises de paroles, les AG, afin que le niveau de combativité franchisse encore un palier. Mais on sent bien que, pour la première fois depuis longtemps, c’est à portée de main. Avec un 10 décembre au moins aussi fort que le 5 la grève reconductible peut devenir une perspective immédiate, dans plusieurs secteurs et plusieurs départements.
Édouard Gautier