Publié le Mercredi 19 février 2020 à 12h53.

Le numérique, laboratoire du capitalisme mondialisé

Depuis quelques années, l’informatique a pénétré en profondeur l’économie et la société. Un nouveau jargon marketing a fleuri : société 2.0, digital, économie numérique, etc., à la définition floue mais à l’image clinquante. Mais derrière tout cel la réalité est peu reluisante,… 

Sous-traitance généralisée

La grande majorité des entreprises sous-traitent toute (ou une grande partie de) leur informatique. Et aujourd’hui la grande majorité des 700 000 informaticien.ne.s en France sont employé.e.s par des entreprises spécialisées, les ESN (entreprises de service du numérique). Ils travaillent en régie – au sein des équipes de l’entreprise cliente sous l’autorité de sa hiérarchie – ou au forfait – dans les locaux de leur entreprise ou de l’entreprise cliente, réalisant une prestation informatique pour l’entreprise cliente selon un cahier des charges, un budget et un calendrier pré-définis. La sous-traitance se fait aussi en cascade, entre ESN de tailles différentes, jusqu’à des dizaines de milliers d’indépendantEs.

Diviser les travailleurEs

Pour une partie des entreprises, les petites par exemple, c’est souvent une obligation de sous-traiter son informatique, elles n’ont pas forcément les moyens et les compétences. Pour les autres, c’est un choix. Pas pour faire des économies, car, avec l’achat de prestations intellectuelles et la perte de maitrise sur un domaine stratégique, ça leur revient en général plus cher, contrairement au nettoyage par exemple. C’est clairement pour annihiler le « risque social », pour casser des collectifs de travail. Si l’informatique s’arrête, tout s’arrête : mais c’est difficile pour des informaticienEs de revendiquer, de se mobiliser, lorsqu’un service informatique d’une grande entreprise est composée d’une majorité de « prestas » de différentes ESN, ou lorsque des pans entiers sont externalisés ici ou là.

Augmenter l’exploitation

Le secteur du numérique est en expansion continue. D’ou une population plus jeune que dans les autres secteurs, avec un taux de chômage plus bas, un taux de CDI plus élevé (94 %), moins de temps partiel et très peu d’intérim. 

Le salaire y est nettement plus élevé (3100 euros mensuel net en moyenne). Il s’agit de travailleurEs (très) qualifiés, à 80 % des cadres, qui pour la plupart n’exercent pas de responsabilités hiérarchiques, et qui se recrutent de préférence dans les écoles d’ingénieurs.

Le taux horaire est nettement moins intéressant. Les heures supplémentaires, avec le manque d’effectif et les délais trop courts, sous la pression de la hiérarchie, etc., sont monnaie courante et ne sont évidemment pas payées. Le forfait-jour (la durée du travail calculée non en heures mais en jours, 218 sur l’année) le légalise.

Malgré les difficultés de recrutement qu’il dit rencontrer, le patronat du numérique a réussi à maitriser l’évolution salariale. Pour augmenter leur salaire, les informaticienEs qui sont sur un segment recherché sur le marché du travail, sont le plus souvent obligés de changer d’employeur. Cette rotation des effectifs, appelé « turn over », atteint fréquemment 20 à 30% par an dans les ESN.

Concurrence organisée au niveau mondial

Le numérique est loin de l’image de la start-up triomphante, c’est un secteur très concentré, avec des poids lourds qui dominent le marché, IBM au niveau mondial, Capgemini au niveau français et européen. Avec l’explosion des réseaux, ces multinationales délocalisent un maximum dans des pays ou les salaires sont plus bas, ce qu’elles appellent « l’offshore » : Capgemini, 24 000 salariéEs en France, emploie près de 100 000 salariéEs en Inde où est sous-traitée la plus grande partie de ses activités de développement au niveau mondial. Cette délocalisation touche du travail de plus en plus qualifié : ainsi IBM a ouvert en Europe de l’Est des centres d’infogérance qui emploient des milliers d’ingénieurEs et qui gèrent la production informatique de grandes entreprises françaises…