Publié le Samedi 25 janvier 2025 à 12h00.

« On plonge les personnes dans la misère, on les contraint à accepter le boulot qu’on a décidé qu’elles devraient faire »

La réforme du RSA, ou « réforme plein-emploi », se met en place début en ce début janvier 2025. L’Anticapitaliste fait le point avec Francine Royon, déléguée syndicale Centrale CGT France Travail.

La nouvelle loi, largement combattue par les organisations syndicales, entre en vigueur. Quel est l’objectif global de cette loi-là selon la CGT, pour toi ?

La loi de 20231 a pour objectif de construire un outil qui va permettre de contraindre la main-d’œuvre disponible sur le marché du travail, à accepter les offres d’emploi du patronat local. Cette loi a créé France Travail et aussi le Réseau pour l’emploi avec tous les acteurs, qu’ils soient publics ou privés, qui vont mettre en œuvre les mesures et les procédures pour contraindre les usagerEs déjà à s’inscrire à France Travail – donc l’inscription devient obligatoire pour les personnes qui sont au RSA, qui sont handicapées ou qui sont jeunes, pour qu’elles entrent dans le fichier. Ensuite, tout va se mettre en œuvre pour qu’elles puissent correspondre, par le biais de formations, d’immersions, à ce dont a besoin le patronat local. Ceci va forcément créer des inégalités de traitement sur le territoire, notamment sur les propositions de formation ou bien les types d’accompagnement.

La loi du 18 décembre 2023 a créé France Travail et le réseau pour l’emploi qui est composé des opérateurs France Travail, des missions locales (pour les jeunes) et les CAP Emploi (pour les personnes handicapées). Les départements deviennent aussi des acteurs centraux, notamment dans le cadre de l’accompagnement des personnes qui sont au RSA, des allocataires mais aussi de leur conjoint, car personne ne doit passer sous les radars. Ce sont des organismes plus ou moins publics avec des financements divers et en plus, normalement, par décret, vont être associés aussi les opérateurs privés de placement qui sont d’ores et déjà sur le marché du chômage comme les Tingari, Ingeus, ce genre de boîtes. Par exemple, pour le contrat de sécurisation professionnel des personnes e licenciées économiques en Ile-de-France, 50 % d’entre elles sont accompagnées par des officines privées et pas par France Travail. La loi de décembre 2023 va augmenter le recours aux prestataires privés par délégation.

As-tu une évaluation du nombre d’agentEs de France Travail et du nombre d’agentEs qui travaillent dans les sociétés privées ?

Je sais que les demandeurs d’emplois n’ont pas envie d’être accompagnés par des opérateurs privés. Ils demandent régulièrement de revenir à France Travail parce que souvent, comme les opérateurs privés ont des financements de l’État, ils doivent répondre à des objectifs. Ils mettent une pression de dingue non seulement à leurs salariéEs mais aussi aux demandeurs d’emplois pour les atteindre.

L’obligation d’inscription telle qu’elle est prévue par la loi pour le plein-emploi et qui s’applique depuis le 1er janvier 2025 concerne toutEs les bénéficiaires du RSA, c’est-à-dire les allocataires, ceux qui touchent l’allocation mais aussi leurs conjointEs, qui sont bénéficiaires d’une certaine manière des droits afférents (transports en commun, accès à la culture). Toutes ces personnes auront l’obligation de s’inscrire à France Travail, tout comme les jeunes qui veulent être accompagnéEs par la mission locale, les personnes suivies par Cap Emploi ou qui sont handicapées. Évidemment, comme le gouvernement ne veut pas que les chiffres du chômage augmentent, il a créé deux nouvelles catégories de demandes d’emplois, la 9 et la 10. L’arrêté, en date du 30 décembre 2024, est paru le 1er janvier. Ces deux catégories permettent de mettre de côté les demandeurEs d’emplois qui sont obligées de s’inscrire, soit parce qu’ils sont dans un accompagnement dit social, soit parce qu’ils sont en attente de signature de contrats d’engagement. On n’aura pas une augmentation massive des chiffres du chômage au 1er janvier 2025.

L’obligation d’avoir une activité de 15 heures par semaine concerne-t-elle donc les conjointEs puisqu’iels seront inscritEs ?

Tout à fait. Les 15 heures d’activité (15 à 20 heures, 15 heures par défaut), dans les papiers de France Travail sont imposés à partir du moment où on signe le contrat d’engagement, qui sera obligatoire pour toute personne qui s’inscrit à France Travail. Il va y avoir un moment où tout le monde ne l’aura pas signé parce qu’il y a – les termes sont horribles – les « reprises de stock », c’est-à-dire des gens qui sont déjà inscrits, qui ont déjà signé des PPAE (projet personnalisé d’accès à l’emploi) ou d’autres conventions avec France Travail. Et pareil pour les personnes au RSA. En fait, 2027, c’est l’échéance à laquelle tout devrait être carré du point de vue d’Olivier Dussopt, ancien ministre du Travail. Ces 15 à 20 heures sont liées au contrat d’engagement, donc bénéficiaire, allocataire, conjoint, toutes les personnes qui sont inscrites à France Travail. Dans ce contrat est déterminée une intensité de l’accompagnement de 15 heures ou plus. Et dans ce cadre-là, peuvent être envisagé tous types d’actions, que ce soient des formations, des ateliers, des forums, des réponses à des offres d’emploi, ou des immersions en milieu de travail qui peuvent être, dans certains cas, apparenté à du travail gratuit, puisqu’on fait découvrir un travail, un métier.

Une expérimentation de cette mise au travail a été faite au niveau départemental. Est-ce que vous avez des retours de ces expérimentations ?

On a des retours assez vagues. On peut trouver quelques données, mais d’après les associations comme ATD Quart Monde et le Secours catholique, qui ont sorti un rapport assez intéressant en octobre, les retours à l’emploi sont surtout évidemment sur les métiers en tension. Donc les métiers dont personne ne veut, parce qu’ils sont mal payés et dont les conditions de travail sont déplorables. On n’a pas de données plus précises, par exemple, le nombre de radiations, le nombre de sanctions qui ont été faites sur les demandeurs d’emploi qui n’auraient pas recherché « assez activement » du travail ou bien sur des refus d’offre d’emploi, puisqu’il est mis en place l’ORE (offre raisonnable d’emploi) de façon plus importante avec la loi pour le plein-emploi. On a demandé les chiffres, on ne les a pas du tout. Les usagerEs – on le voit dans le rapport des associations – vivent ces 15-20 heures d’activité, comme de la suspicion.

Qu’est-ce que la mise en œuvre de la loi va changer, d’une part pour les usagerEs et d’autre part pour les salariéEs ?

Cette loi instaure l’augmentation du nombre de contrôles de la recherche d’emploi. L’idée c’est de les multiplier par 3, de passer de 500 000 à 1 500 000 contrôles de la recherche d’emploi. Et sans effectifs supplémentaires, ce qui n’est pas plus mal parce que nous, évidemment, on demande la suppression du contrôle de la recherche d’emploi et des radiations de sanctions, mais ils ont quand même trouvé un moyen de renforcer le contrôle : mettre en place l’automaticité du contrôle avec des faisceaux d’indices, avec des algorithmes qui vont permettre un contrôle beaucoup plus simple des usagerEs. Et les recours contre des sanctions seront plus compliqués parce qu’ils seront plus faits auprès du directeur des agences locales, mais à un niveau supérieur. Ce qu’on appelle la gestion de la liste va être déplacée au niveau des plateformes de contrôle et des directions territoriales. Ce sera plus difficile pour unE usagerE de faire valoir ses droits et de faire recours.

C’est vraiment dans la logique de la loi pour le plein-emploi : contrôler la main-d’œuvre disponible, mais aussi la contraindre le plus L’histoire des 15 à 20 heures d’activité, c’est un moyen punitif de contrôler son quotidien. C’est complètement débile de penser que les personnes au RSA qui survivent, passent leur temps à ne rien faire alors que justement elles passent leur temps à essayer de vivre dignement la plupart du temps. Pour les agentEs, ça va multiplier la charge de travail, il est prévu que près 1,2 million de personnes de plus s’inscrivent à France Travail en janvier. Les collègues sont déjà débordéEs, ils ont à peu près 500 personnes dans les portefeuilles. On ne voit pas comment ils vont pouvoir signer des contrats d’engagement avec 15 à 20 heures d’activité et accompagner correctement des usagerEs. C’est le dévoiement de la mission d’accompagnement qui est en question avec une volonté que ça se transforme plutôt en métier d’orienteur vers d’autres organismes, privés si possible, et que France Travail se consacre malheureusement plus à du contrôle et à de la coercition sur les usagerEs. Cela va de pair avec les modifications qu’a subi l’assurance chômage depuis 2021, avec une réduction conséquente des droits pour les usagerEs et des nouvelles réductions pour les seniors qui vont s’appliquer à partir de 2025. On plonge les personnes dans la misère, on les contraint à chercher du boulot, mais pas n’importe lequel, celui qu’on a décidé qu’elles devraient faire.

Quelles sont les perspectives de s’opposer à la mise en œuvre de la loi ? Comment ça se discute aujourd’hui à France Travail ?

Les agentEs fin 2023, quand la loi a été votée, étaient un peu dubitatifs, ils voulaient savoir ce que ça donnerait. Là, ils commencent à être un peu en colère puisqu’ils voient bien ce qui s’est passé en 2024. Il y a eu quand même des modifications en profondeur de notre façon de travailler. Ils s’inquiètent de ce qui va se passer en 2025. On a fait un mouvement de grève national le 5 décembre qui a été largement suivi. Plus d’un tiers du personnel (chiffre de la direction) s’est mis en grève. C’est énorme, parce que ça peut représenter sur certains sites bien plus de 50 % des agentEs en grève, voire beaucoup plus. Les organisations syndicales nationalement veulent donner une suite à ce mouvement de grève. Il y a une date autour de début février qui devrait normalement être annoncée. C’est une intersyndicale assez large, avec la FSU, la CFTC, FO, des syndicats qui ne sont pas d’habitude combatifs, participent. Seules la CFDT et la CGC ne participent pas. Sur la revendication qui avait poussé mes collègues à faire grève, il y avait les suppressions de postes. Pour l’instant, ce n’est plus d’actualité, mais on imagine bien que ça va revenir en 2025 dans le projet de loi de finances. Il y avait la précarité qui touche de nombreux collègues à France Travail et la privatisation. En 2024, le budget alloué aux opérateurs privés de placement a augmenté de 60 %. Et la question des salaires et des traitements. Les salaires sont très faibles, notamment les salaires des collègues qui sont recrutés et de nouveaux recrutés, qui tournent autour de 1400 euros par mois pour un recrutement à Bac+2. Donc c’est à peine plus haut que le smic pour les conseillers qu’on rencontre en agence.

Peut-être deux mots sur le statut des agents de France Travail ?

Donc à France Travail, les collègues sont recrutéEs dans le droit privé et rattachéEs à une convention collective. Mais il reste des collègues de droit public, environ 3 000 sur 50 000 agentEs. Et ces 3 000, sont issuEs de l’ANPE (Agence nationale pour l’emploi) [NdlR : devenue Pôle emploi en 2008 en fusionnant avec les Assedic] qui au moment de la fusion comptaient 40 000 agentEs. À la fusion, a été ouvert le droit d’option, et comme à l’époque la convention collective des Assedic était plus avantageuse, beaucoup de collègues ont opté pour le droit privé. Les agents de droit public sont de fait de moins en moins nombreux et vouées à s’éteindre puisqu’il n’y a plus de recrutement par concours à France Travail.

Donc de moins en moins d’agents publics ?

Donc de moins en moins d’agents publics, qui, peu à peu, partent en retraite

Alors comment défendre un service public… sans agents publics ?

C’est compliqué parce qu’il y a des deux combats. Il y a le combat qu’on mène avec la fonction publique et les fonctionnaires sur les moyens dans toute la fonction publique, puisque on est quand même financé au tiers par l’État. Le reste de nos financements, c’est l’Unédic. D’ailleurs, c’est un détournement de l’argent des allocations chômage pour financer France Travail qui est un outil de coercition contre les usagerEs. C’est assez dégueulasse ! Après, il y a le combat avec tous ceux qui sont dans le milieu du chômage, de l’accompagnement des usagerEs, et là c’est des combats qu’on mène avec les missions locales et les départements. Il semble que les missions locales aient envie de se mobiliser contre la loi pour le plein emploi. On essaie de voir si on peut construire quelque chose avec eux de façon interprofessionnelle pour défendre la garantie d’un service public qui réponde aux besoins des usagerEs en matière d’accompagnement.

Propos recueillis par Cathy Billard