Alors que les premières journées de grève des cheminots ont été des succès, paralysant largement le transport ferroviaire, la conflictualité touche d’une manière ou d’une autre de nombreux autres secteurs, du public comme du privé (fonction publique d’Etat, filière déchets, énergie, Air France, Carrefour, Ford Blanquefort, hôpitaux, Ehpad, postiers…), sans oublier les universités où la mobilisation des étudiants et des personnels se développe, ni les retraités dont beaucoup, après leurs grandes manifestations du 15 mars, viennent renforcer les cortèges des salariés en lutte.
Pourtant le gouvernement, tout comme les patrons et directions d’entreprises, campent fermement sur leurs positions. Au grand dam des directions syndicales, ils n’offrent que des simulacres de « négociation ». Jamais il n’a été aussi clair que pour faire aboutir les revendications des mouvements en cours (rejet des contre-réformes, salaires, retraites, conditions de travail, statut, service public, accès à l’université…), la lutte secteur par secteur, entreprise par entreprise ne peut suffire. Les revendications sont diverses mais l’ennemi est commun. Divisés, éparpillés chacun dans son coin, aucun de nous ne sera en mesure de gagner. Unis dans un grand « Tous ensemble », nous pouvons mettre un coup d’arrêt à l’offensive macronienne et commencer à imposer nos exigences.
On le sait, ce ne sera ni simple ni facile. Plusieurs obstacles, qu’il est nécessaire d’identifier, se dressent sur la voie de la généralisation et de l’unification.
En premier lieu, même si le néolibéralisme que le gouvernement porte en étendard ne parvient pas à imposer son hégémonie idéologique dans la majorité de la population, les défaites et reculs du passé pèsent. Les divisions sont ainsi évidentes au sein de la classe des salariés, entre ceux et celles qui conservent encore certains acquis et les autres, déjà précarisés et corvéables à merci, ceux et celles qui sont attaqués et d’autres qui espèrent passer entre les gouttes. L’affaiblissement des traditions collectives de lutte et d’organisation, au profit de la recherche de solutions individuelles, est une réalité. Cette situation est illustrée par les sondages qui montrent, à la fois, le rejet croissant du macronisme au sein des classes populaires et la difficulté à réunir un soutien majoritaire à la grève des cheminots.
Le gouvernement et le patronat, puissamment aidés de leur appareil médiatique, en jouent à fond pour tenter d’isoler et discréditer les secteurs en pointe de la lutte. A cela se combine une politique de répression que l’on a rarement vu se développer à un tel niveau – de l’offensive quasi militaire contre la ZAD de Notre-Dame-des-Landes jusqu’aux expulsions violentes d’universités occupées, en passant par les persécutions de syndicalistes comme celle dont notre camarade Gaël Quirante est victime, sans parler du traitement toujours plus inhumain réservé aux réfugiés.
La politique de la majorité des directions syndicales, qui ne se résignent pas à abandonner leurs illusions dans le « dialogue social » et à engager l’indispensable épreuve de force, continue de tirer en arrière. C’est le cas avec la forme de grève « perlée » imposée à la SNCF pour suivre le calendrier des prétendues négociations avec le pouvoir. Et que penser des organisations de la fonction publique qui, après la grève assez réussie du 22 mars, repoussent l’appel à une nouvelle journée au… 22 mai ?
Les choix des partis politiques qui se situent dans le camp du mouvement ont également des répercussions. Comment à ce sujet ne pas être dubitatif devant l’appel de la France insoumise à une manifestation nationale le 5 mai, lancé sans concertation avec personne et sans lien avec le développement réel de la mobilisation sociale ? Alors qu’à l’évidence le 1er Mai prendra cette année une signification toute particulière ? D’autant que cet appel se double de l’intention de créer « partout en France » des « comités du 5 mai », au moment même où des collectifs unitaires de défense du service public commencent à se former dans une série de villes et quartiers.
Ces dernières initiatives, qui reprennent une expérience positive du mouvement de 2003, peuvent en revanche s’avérer très utiles : avec toutes les organisations qui le souhaitent, que l’on appartienne ou non à un parti, un syndicat, une association, se regrouper pour soutenir concrètement les grèves et mobilisations en cours, les populariser, contrer la propagande gouvernementale – et pourquoi pas, décider de manifestations.
Mais l’essentiel se joue bien sûr dans et à partir des mouvements déjà engagés : l’extension et la généralisation, l’auto-organisation, l’unification – comme on en voit les premières expressions dans les facs occupées et les assemblées générales de cheminots – sont les tâches de l’heure. Macron et ses ministres répètent sur tous les tons qu’ils « ne croient pas à la convergence des luttes ». Tout l’enjeu est maintenant de leur donner tort.
Jean-Philippe Divès