Publié le Mardi 12 mai 2020 à 16h15.

Marseille : « Ici, la vie des habitants n’a tenu que par le travail des associations »

Sébastien Fournier est enseignant depuis une vingtaine d’années à l’école élémentaire de La Busserine dans le 14e arrondissement de Marseille. Il est également responsable du SNUIPP-FSU pour le secteur des 13e et 14e. Avec des associations et autres acteurs sociaux, il participe à une action de solidarité avec les populations du quartier, telles que distributions de denrées alimentaires et autres produits de première nécessité.

Peux tu présenter La Busserine, quartier dans lequel tu travailles ?

La Busserine est une cité des quartiers nord de Marseille, cité HLM très populaire dans un milieu défavorisé. La population y est sédentaire, installée là depuis plusieurs années. Sur l’ensemble Picon-Busserine-Le Mail se trouvent trois groupes scolaires et deux collèges Mais l’histoire de cette cité est aussi l’histoire d’un tissu associatif qui permet aux habitants de tenir. Un centre social actif et militant, un espace culturel et un théâtre. Il faut savoir qu’à Marseille, 50% de la population n’est pas assujettie à l’impôt sur le revenu, ce qui en dit long sur la situation sociale.

Comment et en lien avec qui, s’est construite votre action et en quoi consiste-t-elle ?

Notre action s’inscrit dans un maillage social avec en pointe, le quartier de La Belle de Mai dans le 3e arrondissement. La solidarité s’y est donc exprimée dès le début du confinement.

Après une longue lutte contre sa fermeture, la réquisition, par des syndicalistes et militants associatifs, du Mc Do de St Barthélémy, voisin de La Busserine, a transformé le restaurant en une plate-forme d’aide alimentaire avec d’autres associations (Communauté Emmaüs, Banque alimentaire…), qui s’est donné pour but la redistribution.

La réalité aujourd’hui, c’est le chômage partiel mais aussi la disparition d’une économie souterraine, et une précarité renforcée pour les sans-papiers, par exemple. Cette pression alimentaire a révélé très vite l’absence totale de l’État. Aucune identification des besoins n’a été réalisée. L’État a fait le choix du confinement sans rien faire face aux conséquences de celui-ci. Plus aucun relai sur le terrain n’est aujourd’hui en mesure de savoir ce dont la population a besoin ni de leur acheminer une aide quelconque. Résultat, ce sont des structures associatives, souvent très opposées aux choix gouvernementaux, qui ont été appelées à l’aide pour faire remonter les besoins.

Il a fallu un mois aux services de l’État pour décider d’une aide supplémentaire de la CAF qui ne sera touchée que le 15 mai, de l’ordre de 150 euros par personne au RSA plus 100 euros par enfant. Ce qui signifie que ceux qui ne sont pas inscrits au RSA et qui n’en sont pas des nantis pour autant, ne toucheront rien.

Côté Ville de Marseille, Gaudin a accordé, fin avril-début mai, une aide de 100 euros aux familles bénéficiant de la gratuité cantine, ce qui représente 200 000 euros pour une ville de près de 900 000 habitants ! Rien pour les familles en semi-gratuité, et rien non plus pour celles tombées dans la précarité à cause de la crise.

Côté Métropole Marseille-Aix, 1000 colis vont être distribués par semaine. À La Busserine ce sont en tout et pour tout 300 colis par semaine. On mesure là l’abysse entre ce qu’ont été capables de faire les collectifs militants et ce qu’a fait la Ville.

En bref, tout ne tient que grâce à la mobilisation des habitants.

Sur la cité, s’est mis en place un groupe veille sanitaire auquel participaient les associations du quartier, le centre social, les enseignants, les théâtres, etc. Cette veille sanitaire a mis sur pied une cagnotte, pris contact avec le McDo voisin qui a fourni 30 % des besoins, puis a fonctionné par ses propres moyens. On a organisé les recherches de fonds, les courses et la distribution aux habitants suite à la remontée des besoins par les structures de la Veille sanitaire. Une fois par semaine a lieu une distribution de denrées alimentaires et de produits d’hygiène à la population, pour un montant de 15 euros.

Quelle a été justement, l’implication de la population ?

La population s’est impliquée par le biais de ses associations : centre social, associations de parents d’élèves, associations sportives, de quartier, club de foot, collectif des musulmans. Chaque structure a participé à l’action. Les premiers jours de la semaine a été organisée la quête alimentaire devant des supermarchés, puis la confection des colis le vendredi et la distribution le samedi.

Quelles perspectives à moyen terme, et surtout, quelle démonstration concrète que lorsque « ceux d’en bas » s’organisent, ils peuvent pallier aux insuffisances de « ceux d’en haut » ?

Il existait déjà une structure un cadre de travail collectif du milieu associatif sur Marseille né de l’effondrement des immeubles de la rue d’Aubagne. Le travail s’est poursuivi et amplifié lors de cette crise dans un cadre : « Marseille vivante et populaire ». Le but de la démarche est maintenant : « Présenter la facture ».

La vie n’a tenu que sur cette mobilisation « citoyenne ». Ce que nous espérons, c’est que cette maturité politique dont ont fait preuve les habitants, se développe. Une question devra être posée : face aux carences de l’État, tout comme la sécurité sanitaire a tenu par le travail des soignants, ici, la vie des habitants n’a tenu que par le travail des associations.

C’est à la base que s’est construite cette solidarité. Il nous faut trouver les moyens de se rassembler en vue de ne pas passer simplement à autre chose une fois la crise terminée. Ce qui a été réalisé est une réelle autogestion de la vie des quartiers sur toute la ville.

Pour nous, la crise sanitaire et sociale n’est pas terminée. Quelle alternative pouvons nous offrir ? Le déconfinement sera dans le cadre libéral, sans tenir aucun compte des impératifs sanitaires, sociaux ou culturels. On ne peut pas parler du « jour d’après » sans tirer le bilan de la faillite des politiques libérales et surtout sans proposer dans la crise elle-même une alternative à la gestion de la crise par le pouvoir en place. L’État fait le choix d’une politique plus que contestable et fait retomber la responsabilité en dessous, depuis les maires, jusqu’aux directeurs d’écoles. Nous devons imposer d’autres choix et d’autres priorités que celles du gouvernement.

Comment envisage-t-on la rentrée du 11 mai à la Busserine ? [entretien réalisé le 9 mai]

Il n’y aura pas d’ouverture de l’école. Il est évident qu’il faut déconfiner, les populations ne peuvent plus rester enfermées. Mais sans retour immédiat à l’école. Il y a encore trop de risques de propagation du virus. Il n’y a aujourd’hui aucune garantie sur la situation sanitaire, et on sait que les gestes barrière seront impossible à mettre en place et à respecter avec des enfants.

Édouard Philippe a dit qu’un premier bilan sera fait dans trois semaines. Pourquoi les écoles devraient-elles ouvrir avant ce bilan ? Déjà, dans le quartier de Malpassé (13e arrondissement), un risque sanitaire a été pointé par une structure militante associative, et nous n’avons aucune vision claire sur les autres quartiers.

Dans les quartiers défavorisés, on estime que de 0 à 20 % seulement des élèves attendus se rendront en classe le 11 mai. Qu’on ne vienne pas nous dire que cette réouverture est faite pour éviter le décrochage des enfants en difficulté.

Lundi 11 mai, nous n’ouvrirons pas l’école.

Propos recueillis par Jean-Marie Battini