Le droit de manifester librement ses opinions apparaît dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, elle même inscrite dans le préambule de la Constitution de 1958. Ce droit est également reconnu dans la convention européenne des droits de l’homme.
Sa suppression y est encadrée : l’État doit la justifier par une menace à l’ordre public exceptionnellement grave ou par l’absence d’un dispositif policier adapté aux circonstances. Retour sur quelques-unes de ces interdictions.
Un outil de répression colonialiste et anti-ouvrière
Le 14 juillet 1953, une manifestation sur « l’union pour la défense des libertés républicaine » est appelée par plusieurs syndicats et le PCF. Le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) de Messali Hadj, avec l’accord des organisateurs, a l’intention de se joindre au cortège pour réclamer en Algérie le retrait des troupes françaises et une assemblée constituante. La manifestation est alors interdite, avec des tirs à balles réelles contre les manifestants qui ont décidé de maintenir la manifestation. Place de la Nation, 7 personnes seront tuées : 6 Algériens et un Français, et des dizaines d’autres seront blessés.
De plus le gouvernement sanctionnera les organisations syndicales indociles, internationalistes, donc dangereuses, en interdisant les défilés du 1er Mai entre 1954 et 1967. Aucun des chefs de gouvernement successifs, du radical Faure jusqu’au gaulliste Pompidou en passant par le socialiste Guy Mollet, n’hésitera à sacrifier le droit des travailleurs à manifester précisément le 1er Mai.
Le 8 février 1962, la manifestation contre l’OAS, appelée par la CGT, la CFTC et les partis de gauche est interdite et sévèrement réprimée. Neuf manifestantEs sont tués dans les accès à la station de métro Charonne qui était fermée.
Toujours cette grande peur du pouvoir quand les travailleurs français et « colonisés » ou leurs descendants s’unissent pour leurs droits et libertés communes. Et une seule stratégie comme réponse de l’État : celle de la violence.
L’arme impuissante d’un pouvoir aux abois
En septembre 2012, Jean-Marc Ayrault, Premier ministre socialiste du gouvernement Hollande, interdit une manifestation devant la grande mosquée de Paris. Les manifestants entendaient protester contre un film qui circulait sur les réseaux sociaux, l’Innocence des Musulmans, film qu’ils jugeaient offensant. Ayrault affirme alors : « il n’y a pas de raison qu’on laisse venir dans notre pays des conflits qui ne concernent pas la France ». Encore une fois, ce qui est dit au sommet de l’État, c’est que l’islam, deuxième religion de France, est composée d’étrangerEs, et d’étrangerEs dangereux de surcroît.
La manifestation, en soutien à la population gazaouie massacrée, prévue le 19 juillet 2014 est elle aussi interdite. Cette fois, la raison invoquée est le risque d’incidents. Mais la colère devant l’offensive israélienne contre Gaza est telle que l’interdiction n’empêchera pas la tenue de la manifestation qui réunira plusieurs milliers de personnes (et à laquelle le NPA avait aussi appelé).
Depuis les attentats du 13 novembre dernier et la vie sous l’état d’urgence, nos manifestations sont parfois interdites, comme celle des 29 novembre et du 12 décembre lors de la COP21. Cette fois, il s’agissait d’après Cazeneuve « de respecter une exigence de sécurité afin d’éviter tout risque supplémentaire ». Après que l’on se fut étonnés que pour les mêmes raisons, le ministre n’applique pas une telle « exigence de sécurité » aux marchés de Noël, ces interdictions ahurissantes ont permis que de très nombreuses personnes mobilisées dans le cadre de la COP21 aient la certitude que décidément ce gouvernement est vraiment illégitime !
Et la suite, dont les dernières tentatives d’interdiction par le trio Hollande-Valls-Cazeneuve, n’a fait que le confirmer.
Roseline Vachetta