Après une nouvelle phase de « concertation » avec les organisations syndicales et une « consultation citoyenne » (sur internet, ou à l’occasion de réunions publiques) qui doit durer jusqu’à fin 2019, le projet définitif serait élaboré en début d’année prochaine pour être voté, après les élections municipales, lors de la session parlementaire d’été 2020 qui se termine en juillet. Face à la colère sociale qui s’exprime en cette rentrée par la multiplication des luttes, et aux braises du mouvement des Gilets jaunes qui couvent toujours, le pouvoir engage une nouvelle opération d’anesthésie sociale en refaisant le coup du « dialogue » avec les syndicats et du « grand débat ». Il espère ainsi gagner du temps, et éviter une mobilisation d’ampleur.
Le projet est boucléMais derrière cette mascarade, sur le fond, le projet gouvernemental est déjà bouclé, ce qu’Édouard Philippe a confirmé dans ses interventions. Le pouvoir est décidé à imposer coûte que coûte sa « retraite par points », qui signifie la baisse massive des pensions et le recul de l’âge de départ, pour les générations à venir, pour les salariéEs du public comme celles et ceux du privé. Les dépenses de retraites ne pourront dépasser une « enveloppe fermée » de 14 % du PIB, alors que le nombre de retraitéEs ne va cesser d’augmenter. Philippe a rappelé le véritable sens de la contre-réforme : pour avoir une retraite décente, « il faudra travailler plus longtemps ». S’il estime que « travailler plus longtemps n’est plus tabou pour la gauche ni pour la droite », il existe, par contre, pour ce gouvernement au service du patronat, un véritable tabou : l’augmentation des cotisations sociales patronales pour ajuster les financements aux besoins. La seule discussion qui subsiste alors porte sur la répartition de « l’effort» à fournir par les salariéEs. « Âge pivot », « durée de cotisation », il s’agit seulement de savoir qui sera le plus perdantE parmi les perdantEs et à ce jeu, ce sont les femmes et les plus précaires qui seront les plus impactéEs.
Les retraites comme variable d’ajustementLa nouvelle concertation aura une autre fonction qui n’annonce rien de bon. Si le système de retraites « par points » s’équilibrera automatiquement, en faisant des retraites la variable d’ajustement, le gouvernement entend qu’il soit « à l’équilibre » au moment de sa création en 2025.Dans son interview à TF1 Philippe a déclaré : « Le système, pour l’heure, n’est pas très loin de l’équilibre. Faut-il en déduire qu’il ne faut rien faire ? Je ne le crois pas. […] Tout porte à croire que le déficit va fortement se dégrader ». Les « partenaires sociaux » vont donc être mis a contribution pour imaginer de nouvelles restrictions avant même la mise en place de la réforme.Ce qui se profile, sans le dire ouvertement, c’est donc un nouveau coup de rabot sur les retraites, dans les mois qui viennent (nouvel allongement de la durée de cotisation, recul de l’âge pour bénéficier d’une retraite complète). Le seul vrai gagnant sera le patronat, qui obtient la garantie de ne jamais voir les cotisations retraites augmenter, et pour qui la baisse des retraites par répartition ouvre le marché, très lucratif, des assurances retraites par capitalisation. Pour s’assurer que les propositions iront dans ce sens, deux grands patrons sont chargés de présider aux solutions à proposer : Sophie Bellon, présidente du conseil d’administration de Sodexho et Jean-Manuel Soussan, directeur des ressources humaines du groupe Bouygues Construction. On n’est jamais si bien servi que par soi-même !
Engager dès maintenant la mobilisationContrairement à ce que l’exécutif voudrait faire croire, et à ce qu’accréditent les directions syndicales en poursuivant le « dialogue social », c’est dès maintenant qu’il faut engager la mobilisation, non pour aménager à la marge le projet, mais pour imposer son retrait. L’heure n’est pas à un nouveau grand blabla sur les retraites. Il y a urgence à préparer dès maintenant la mobilisation unitaire face à un pouvoir dont chacun connait la détermination. Pour cela, il faut créer les outils adéquats. On ne peut laisser l’organisation de cette lutte à des directions syndicales dont une partie soutient la réforme ou qui, tout en la condamnant, ne font rien pour mobiliser à la hauteur des enjeux, comme le prouve le pitoyable spectacle des journées d’action dans la division en cette rentrée.Sur le terrain commencent à se créer des collectifs unitaires, dans les entreprises, les villes et les quartiers qui organisent la résistance face aux différentes attaques : licenciements, suppressions d’emplois et destruction de services publics, salaires, et au sein desquels la mobilisation sur les retraites doit devenir un axe essentiel. Il faut multiplier ces initiatives, y débattre des moyens efficaces pour imposer enfin à ce pouvoir une défaite majeure : le retrait intégral de son projet de contre-réforme des retraites.
Jean-Claude Delavigne